La simplicité comme solution universelle ?
- Date 22.10.19
Lorsque l’on s’interroge sur l’adaptation du matériel à son cheval (et non l’inverse), on peut rapidement se retrouver face à plusieurs problèmes : trop de choix, manque d’informations, avis contradictoires, marketing bien léché mais mensonger…
Ceci a non seulement tendance à nous perdre plus qu’on ne l’est déjà ou pire, à nous limiter fortement dans notre envie d’agir. Mais plus encore, ce « flou » nous pousse aussi à aller solutionner des problèmes…que l’on a en réalité pas du tout.
Adaptation du matériel = prévention
Lorsque l’on demande à un cavalier bien intentionné et qui s’interroge sur tous les sujets équestres qui s’offrent à lui « Comment décririez-vous votre cheval ? », on a alors souvent en réponse les différents blocages, restrictions, sensibilités, anciennes blessures, traumatismes physiques, psychologiques… Cette rétrospective est très importante pour nous, conseillers en ergonomie, et pour pas mal de professionnels, s’entend.
Mais de fait, beaucoup de cavaliers partent du principe que leur cheval – et leur propre corps de cavalier – est par nature dysfonctionnel. Et qu’il faut lui redonner sa pleine fonction. Le corps est en fait une fabuleuse « machine », que ce soit le vôtre ou celui de votre cheval.
Et le meilleur outil dans tout ça, dans le maintient de la bonne forme physique et mentale de votre cheval, reste la prévention. L’environnement, l’éducation, les paramètres de la domestication, l’activité physique et mentale de votre cheval forge assurément sa destinée et est une clé dans l’obtention de son bien-être. L’adaptation du matériel en fait partie et c’est ce que nous faisons chez Ergonomie Équestre : on prévient ou on solutionne, selon les cas.
Sauf que, parfois, à vouloir bien faire, on se rajoute des dizaines de variables et on est perdus.
Et septiques.
Et frustrés.

Sortons les rames
De ces cavaliers en mode « énorme prise de tête » j’en ait été. Ceux qui ont eu ce « cheval déclic », qu’aucune solution pourtant bien « marketée » ne semblait pouvoir solutionner ; me comprendront. J’ai rencontré un cheval dans ma vie de cavalière qui a bouleversé mes certitudes et m’a fait m’arracher les cheveux. En terme de besoins spécifiques, d’adaptation du matériel et d’évolution technique, ce cheval se posait là.
Appelons le Castagnettes.

J’avais commencé il y a peu à étudier comment adapter les principes de l’ergonomie humaine aux embouchures et à la briderie. Castagnettes – remerciez-le – m’a fait accélérer le processus ! Je devais jongler entre un contact inexistant, des sensibilités particulières, de mauvais aplombs, une morphologie compliquée, des peurs d’ordre psychologique très anciennes et très ancrée… Vaste programme (que je vous conterait peut être un jour, d’ailleurs).
Je me suis faite aider, bien entendu : vétérinaire, kiné, ostéo, saddle fitter, instructeur… Quant au bridon et au mors (mais aussi au side), ça a été mon cheval de bataille (= jeu de mots facile).
Il s’en est passé des heures, à lire, chercher, essayer, comparer, acheter, revendre, échanger… Essayer des solutions qui me paraissaient indispensables. Je suis allée chercher à l’étranger des solutions qui n’existaient pas ici, assemblé des dizaines de combinaisons, essayé des têtières plus cheloues les unes que les autres, tout rembourrer, puis tout virer…
Bref, j’ai galéré, désespéré, perdu du temps, de l’argent.
Beaucoup d’argent.

* Quand les gens me demandent comment j’ai dépensé tout mon argent.
L’ergonomique et l’anatomique
J’étais déjà persuadée à l’époque que « l’ergonomique » et « l’anatomique » clefs en main et convenant à tous les chevaux n’existait pas. Pour les chevaux sur lesquels se basent les mesures des modèles, pourquoi pas. Pour ce cheval avec sa morphologie, gros doutes. Comment une têtière conçue pour une population ciblée et moyennée de Selles français pourrait aller à Castagnettes, qui a une nuque courte mais large, toute ronde et très haute, une longueur cob mais une largeur cheval, un muscle court de l’encolure fibrosé..? Je savait aussi que le sur-mesure véritable n’était possible que chez un bon sellier.
Je suis sellier-prototypiste de métier comme vous le savez, alors j’ai pris mes cartons et j’ai fait des patrons.
Le bridon, avec un grand B ?
A ce stade de mes tribulations adapto-problemo-morphologiques, j’achète un « bête » bridon (avec un beau cuir, quand même !) le temps de prendre des mesures pour du sur-mesure.
Ce « bête » bridon, tout plat, tout simple, je travaille un peu avec. Et l’œil de Castagnettes avait changé. Ce bridon-tout-con, au final, ne lui allait pas si mal et son comportement ainsi vêtu laissait présager les meilleurs augures.
Sans découpes, sans super-pont de nuque, sans montants spéciaux, sans méga coussins top confort. Nada. C’était pourtant là : all is alright.
Alors quoi, c’est tout ?
Je galère tout ce temps pour qu’un banal bridon soit la solution ?
Beh oui, en l’occurrence ça l’était.

Simplicité ou adaptabilité ?
Evidemment, vous me connaissez un peu maintenant, je n’en suis pas restée là. Pourquoi diable ce bridon, de conception sobre et simple, réussissait sur cette délicate nuque là où tous les autres avaient échoué ?
Ais-je trouvé la solution universelle pour tous les petits poneys à nuque sensible ?
Dois-je déposer un brevet ?

Haha, non. Rien de tout ça. Je vois la flamme s’éteindre dans vos yeux mais c’est un fait : en ergonomie, sur le vivant, aucune solution n’est universelle.
Toute concentrée que j’étais à me focaliser sur l’ensemble des problèmes de ce cheval, je cherchais peut-être simplement quelque chose qui n’existait pas. Ou alors, quelque chose dont le cheval n’avait pas besoin. Obnubilée par la nuque que je croyais trop sensible pour une têtière normale, j’ai cherché le bridon autour de cet aspect particulier. Mais il se trouve que les principaux désaccords entre les différents bridons et le cheval avaient deux origines : le frontal et le mors. Et qu’il a en fait la nuque aussi sensible qu’un cheval qui n’a pas de sensibilités particulières sur la nuque !
Ce bridon plaçait donc juste où il fallait et comme il fallait. Et ma fixette sur la nuque n’était pas si fondée que ça.
Plus que la simplicité du bridon, c’est le fait qu’il était bien conçu, adaptable et surtout qu’il allait bien à Castagnettes qui avait changé la donne. Tous les paramètres étaient réunis pour qu’il soit mieux avec : pas de gêne, les bons réglages et c’était parti ! Il ne restait plus qu’à jongler avec d’autres paramètres, que seul la patience, le temps et le travail pouvaient influencer.
Avec les connaissances que j’ai aujourd’hui en adaptation du matériel, tout aurait été plus simple évidemment. Comme je sais à présent que la spécialisation existe pour une bonne raison !
Et sur tous les paramètres que j’ai eu à changer (et pour ce cheval, croyez moi, il y en a eu beaucoup), on est revenus chaque fois sur une solution simple. À complexifier uniquement au besoin.
Enfin, simple… Par simple, entendons logique et adaptée !
Retour aux sources

Ce genre d’expériences, je les garde toujours dans un coin de ma tête lorsque je viens vous voir en consultation. Certes chez certains chevaux la complexité et l’unicité d’un design sont salvateurs mais en fait, pour une grande majorité, on revient à des choses simples.
Enfin, logiques et adaptées, hein.
Au niveau du matériel sportif, quel que soit le sport d’ailleurs, ça n’est ni le nom de la marque ni la complexité du produit qui fait son efficacité. C’est son adaptabilité, en tout premier lieu, mais aussi sa technicité. L’ergonomie tourne majoritairement autour de ce genre de critères.
On est bons dans notre recherche lorsque l’on a réussi à trouver le bon équilibre entre plusieurs paramètres. En équitation, ce sera l’équilibre entre les besoins de votre cheval, les vôtres et vos objectifs communs.
C’est ça, l’adaptation du matériel (et non l’inverse !).
Avant de complexifier quoi que ce soit, vous proposer forcément complexe et cher ; il faut reprendre “depuis le début”, prendre le bout du bon côté. Parfois ce sont des changements mineurs qui vont permettre un résultat, parfois ce sont des changements majeurs.
Quoi qu’il en soit, la pyramide ne tient bon que si elle est construite sur des bases solides. Nous vivons à une époque où il y a eu une sorte d’éveil assez salvateur sur la condition animale, y compris celle de nos équidés. Il y a un tas d’acteurs qui œuvrent au bien-être et à la santé des chevaux et il serait bête de s’en priver.
Seul on va vite ensemble on va loin 😉
Et la prévention restera toujours la clé du succès !

Laetitia Ruzzene
Cet article a été écrit par Laetitia Ruzzene et appartient au titre des droits d’auteurs au site https://www.bit-fitting.fr. Les textes contenus dans cet article peuvent être réutilisés ou distribués dans la mesure de la mention de son auteur ainsi que de l’origine de l’article (lien URL direct).