Depuis quelques années et sous l’impulsion d’une meilleure considération des animaux, des questions se posent sur les pratiques en équitation. Particulièrement, le matériel est de plus en plus pointé du doigt. Son mauvais usage, à commencer par une mauvaise adaptation au cheval, peut résulter à des contraintes excessives. Voire une atteinte à l’intégrité physique et morale de l’animal. Mais…L’humain monte à cheval depuis des siècles ! L’équitation c’est un sport ancien, un sport de tradition, d’art… Pourquoi ne pas faire comme on a toujours fait, alors même que ça marchait très bien ? Réponses dans ce chapitre.
L’équitation a un impact sur les chevaux
Il est un fait indéniable, dont nous aimerions évidemment nous passer, c’est que l’équitation a un impact physique et mental sur les chevaux1. Et évidemment, cet impact n’est pas toujours positif, ni même souhaitable. Il serait par ailleurs relativement prétentieux de penser « non, mon cheval va très bien, et je n’ai plus de question à me poser là-dessus ». Spoiler : bien sûr que si. C’est même précisément le profil de cavalier qui devrait se poser plus souvent des questions.
Oui mais.
« Comme ça fait 40 ans que je monte à cheval, on va rien m’apprendre de nouveau ! ». Bon, ben re-spoiler : bien sûr que si. Et d’ailleurs, c’est souvent les très bons cavaliers, qui se remettent le plus en question. Quand bien même leur carrière serait époustouflante.
Se faire conseiller = être un(e) gros(se) nullos ?
Est-ce que les personnes qui font appel à un conseiller en ergonomie équestre sont nuls ? Les pros qui font de même sont des flans ? Est-ce que ça signifie qu’ils n’y connaissent pas grand chose (ou pas suffisamment) pour équiper convenablement leur cheval ? Ou les chevaux de leurs élèves ? Est-ce que ça veut dire que toute leur expérience de cavaliers ils n’ont fait que des erreurs ?
La réponse à toutes ces questions est : NON.
En fait, se poser la question de l’impact matériel c’est une certaine forme de questionnement. Et se poser des questions ça fait avancer. Ça, ça concerne n’importe quel cavalier un peu conscient de l’impact de l’environnement de son cheval, sur son cheval d’ailleurs. Quant aux sportifs pros la recherche de conseils est souvent le fruit de réflexion sur la préparation physique et l’amélioration de la performance. On est d’accord que c’est loin d’être bête aussi.
Il y a bien de la réflexion, parfois longue, parfois compliquée ; là dessous. Comme en plus tout est lié, ça demande un recul global sur la situation. En plus de toutes les compétences transverses que ça implique. Et qu’une seule personne, avec toute l’expérience possible, ne détient pas pleinement. Ce n’est pas grave, c’est même plutôt normal.
L’empirisme et la méthode
À l’époque où il y avait le choix entre 5-10 designs d’embouchure anneaux compris (la double brisure par exemple date des années 80 seulement !) ; c’était pas si compliqué. Il suffisait de tester une panoplie restreinte d’outils, de faire des observations, de retenir l’outil présentant le plus d’avantages. Et pourquoi pas d’en tirer des liens entre les problématiques des différents chevaux2 .
Les années 90-2000 arrivent, la pratique de l’équitation se démocratise et avec elles son lot de diversification des outils. À travers le temps se sont dégagées des « templates » comme évoqué au dessus. Ce type de mors peut aller dans telle ou telle situation ; celui-ci dans celle-ci, etc… On est dans l’empirisme pur et dur : essais, observations = conclusions.
C’est à dire que même les Grecs, quand ils se sont rendu compte que les mors en bronze empoisonnaient leurs chevaux ils ont décidé d’en changer… Action, réaction.
Ça marche très bien, tant mieux ; ça ne marche pas : on tente autre chose.
D’ailleurs, tous les enseignants d’équitation de plus de 35 ans ont ces mêmes particularités dans la formation de leur savoir. À une certaine époque on ne parlait pas de sciences cognitives, de méthodes d’apprentissages pour former des élèves. Est-ce que l’on apprenait moins bien ? Est-ce que la qualité des apprentissages était médiocre ? Il semblerait que non3
Bref, c’est pas mieux, c’était pas moins bien. On a juste plus d’outils aujourd’hui à mettre au service de ces apprentissages. Autant aller se servir !
La question matérielle EST compliquée
En gros, on a des gens à cheval depuis très longtemps, des savoir qui proviennent d’une longue expérience des différents acteurs de l’équitation.
Même si l’on peut voir des choses vraiment aberrantes (nous ne sommes toujours pas chez les bisounours) ; dans la très grande majorité nous avons des choses qui ne sont pas délirantes mais qui peuvent être améliorées.
Le fait est que aujourd’hui, il existe beaucoup plus de possibilités. Plus de fabricants, bien plus de designs, énormément de choses développées grâce à la technologie et à la science. Exit les 10 types de mors différents. Les matériaux ont évolué, les designs, les formes, les procédés de fabrication… Pour ne parler que de mors il existe de nos jours des possibilités de combinaison qui sont des nombres à exposants !
Pour donner un exemple concret, regardons 2 marques d’embouchures seulement parmi les plus connues, Neue Schule et Bombers. Prenons dans leur offre les embouchures étant les mieux conçues. Et bien avec ces deux fabricants = 32 300 combinaisons possibles. Juste entre type, brisure, diamètre et anneaux pour une même taille de mors. Oui, ça fait un peu suer.
Et ce qui fait encore plus transpirer, c’est que l’on augmente ce chiffre à chaque possibilité de combinaison avec un bridon (parce que il fait totalement parti de l’équation) + de rênes.
Alors que faire ? Tester des milliers de combinaisons ? Comment pour trier et choisir ? C’est pour cela que vous lisez ces lignes et pour cela également qu’il existe divers conseils en ergonomie du matériel depuis quelques années, à qui poser des questions.
Est-ce que l’on aurait pas créé un besoin avec l’ergonomie ?
L’émergence du conseil en ergonomie équestre, mais également de ce présent guide, ne correspond pas la création d’un besoin : c’est sa réponse. Par ailleurs, l’ergonomie n’a rien de nouveau et est absolument PARTOUT autour de nous, dans le moindre objet qui compose notre environnement. Proposer des solutions matérielles, s’interroger sur le bien fondé d’un outil ou d’un autre ; c’est prévenir et protéger. Et compte-tenu des enjeux évoqués en introduction de ce chapitre, il était surement temps que l’équitation s’y mette. Une remarque : les professions de conseil en ergonomie n’étant pas encadrées, tous les pros ne se valent pas, toutes les méthodologies de travail ne se valent pas MAIS ont au moins le mérite d’exister.
Incertitudes et idées reçues : quelques exemples
La connaissance approfondie des outils et de leur impact, étudié sous le prisme des sciences, permet de lever des incertitudes et mettre à mal des idées reçues. Par exemple, il a toujours pensé, relayé et appliqué que les mors épais étaient plus doux et plus adaptés aux jeunes chevaux. Aujourd’hui on sait que ça n’est non seulement pas le cas ; mais qu’en plus c’est plutôt très contre-productif.
Second exemple : est-il possible d’avoir une action très ciblée uniquement sur les lèvres avec un mors ? Nous savons maintenant qu’avec un matériel adapté et dans des conditions normales d’équitation ; on agit toujours sur au moins deux structures : la langue et les commissures des lèvres. Que la langue prend toute la place disponible à l’intérieur de la cavité buccale et il n’est pas possible de ne pas agir dessus. Changer l’angle des mains peut influencer la proportion de force appliquée sur l’une ou l’autre de ces structures, mais pas appliquer toute la force sur une structure choisie.
La solution ! Du matériel « ergonomique » !?
Pour faire mieux avec le matériel, pourquoi ne pas se contenter d’acheter du matériel anatomique ou ergonomique ? Est-ce que « l’anatomique » et « l’ergonomique » apporte une vraie plus-value sur le matériel d’équitation ?
Oui et non !
Le fait est que « l’anatomique » et « l’ergonomique » clefs en main, ça n’existe pas vraiment.
Admettons que je veuille créer une têtière « anatomique ». Je vais d’abord devoir me demander quelle est ma cible, l’utilisateur ?
Pour notre exemple, disons que nous cherchons à produire une têtière qui puisse convenir à des chevaux ayant une nuque étroite, haute et longue. Nous allons donc chercher quelles races de chevaux possèdent ces caractéristiques. Disons que nous en trouvons 3 : les PSAr4, les DSA5 et les AA6. Pour savoir comment placer nos éléments « anatomiques », nous allons prendre nos données dans un échantillon suffisamment grand (disons N=150) de chaque catégorie et de chaque race. Nous nous retrouvons avec 450 individus et 1350 données, que nous devrons alors étudier (écarts, moyennes, médianes, fréquences, etc…).
Avec toutes ces infos, nous avons produit une têtière qui convienne à cette population, la plus large possible. Le cavalier d’un Pur sang arabe dans ces intervalles sera bien satisfait d’avoir investi dans notre têtière, qui ajoute effectivement un petit plus niveau confort à son cheval (si et seulement si l’ensemble du matériel est cohérent, bien entendu).
Mais si notre têtière « anatomique » est achetée par le cavalier d’un Demi-trait Breton ou d’un SF7 à la nuque carrée ; dont le morphotype est à l’opposé de la cible ; ça n’ira pas. Oui, elle est anatomique mais pas pour lui (😢).
Là est la limitation de ce qui est vendu comme étant du matériel « anatomique » ou « ergonomique ». Pour que ça le soit pour tout le monde, cela voudrait dire que tout le monde est fichu pareil. Et ça, nous savons bien que ça n’est pas du tout le cas !
Posons-nous des questions
Qui n’a jamais entendu « on a toujours fait comme ça » ou « avant ça n’existait pas et pourtant ça allait très bien » ? Ces phrases traduisent souvent un refus de changer, de s’interroger et peut être de mieux faire. S’interroger, c’est extrêmement inconfortable. C’est parfois se rendre compte que l’on était à côté de la plaque, que l’on a surestimé ses capacités…Ne nous y trompons pas, nous sommes humains : l’égo en prend un sacré coup. Et ça fait pas du bien, effectivement. ce qu’il faut se dire, c’est que le « vivant » est par essence mutable et changeant et les dogmes inflexibles y sont par ailleurs très susceptibles d’y générer des dégâts.
Nous arrivons dans une époque où la société s’interroge sur ce vivant, sur les animaux et sur leurs droits et c’est une très bonne chose. Ça veut aussi dire que l’on va nous demander très frontalement pourquoi on monte à cheval mais surtout « comment » est-ce qu’on le fait. Et la réponse ne va pas pouvoir être « comme on l’a toujours fait ». En revanche : « en s’assurant au maximum du respect de l’intégrité morale ET physique du cheval » est une réponse bien plus acceptable.
Jamais se poser des questions, apporter de nouveaux éclairages sur ses acquis et ses connaissances ne devrait être considéré comme problématique ou comme un gage d’ignorance.
Plus vous en savez et mieux les chevaux se portent !
- Ressources disponibles à la page Sources & Ressources ↩︎
- Chevaux dont le type et l’usage étaient aussi bien plus restreints qu’actuellement ↩︎
- Bon, on a tous et toutes un(e) enseignant(e) qui nous fera dire le contraire… Par exemple j’en ait eu une qui lançait des enfants à cru dans un cross…Bon. Voilà. ↩︎
- PSAR pour Pur Sang ARabe ↩︎
- DSA pour Demi Sang Arabe ↩︎
- AA pour Anglo Arabe ↩︎
- SF pour Selle Français. C’est la race de chevaux la plus représentée pour les gabarits du matériel, mais aussi la plus disparate en termes de caractéristiques morphologiques ↩︎