Influence de la main dominante sur la tension des rênes
- Date 11.11.20
Nous allons aujourd’hui explorer la relation entre votre main dominante, la latéralité de votre cheval et la façon dont ces deux paramètres influencent votre tension de rênes (et votre symétrie). Et comment ces deux paramètres s’influencent entre eux. Et comment ils influencent aussi le mouvement !
Pour cette exploration, je m’appuie sur un article intitulé “A comparision of rein tension of the rider’s dominant and non-dominant hand and the influence of the horse laterality”. Cet article a été publié dans la revue Comparative exercice physiology et il a l’avantage de présenter des données très visuelles.
C'est quoi une main dominante ?
Dans la nature, quasiment tous les êtres dotés de 2 ou 4 jambes ont une « préférence manuelle« . C’est à dire, préférer un membre gauche ou droit pour effectuer des tâches motrices. Une tâche motrice précise est par exemple écrire, où l’on va préférer la main droite ou la main gauche. On peut aussi être ambidextre ou ambimane ; c’est à dire effectuer ces tâches des deux mains indifféremment. Il y a tout un tas de préférences et de performances associées de « l’hémicorps » (une moitié ou l’autre du corps), associé aux organes, à la vue… De même, on peut avoir un œil ou un pied du côté opposé à son dominant ; on parle alors de latéralité croisée.
Bref, c’est encore une fois un sujet vaste et très intéressant !
Pour nous sur nos poneys, on se contentera de retenir que nous avons un côté préféré et une main dédiée à la précision plus qu’une autre. Et que ce côté présente 10% plus de force de préhension que l’autre.

Wait, les chevaux ont un sabot dominant ?!
Oui, j’ai dit précédemment que les mammifères à 4 pattes ont une préférence manuelle. C’est effectivement le cas, mais pour eux on va plutôt parler de « préférence latérale ou diagonale« , qui va concerner 2 membres du même côté ou 1 antérieur et 1 postérieur de l’autre côté. Commencez à préparer vos neurones, il va falloir une petite dose de projection mentale pour les concepts qui vont suivre !
Tout d’abord, petit disclaimer : il ne faut pas transposer ce que l’on sait de notre latéralité sur nos mains de bipèdes ; à nos quadrupèdes. Un cheval droitier n’aura pas la finesse d’un humain droitier, les fonctions de perception étant quand même assez différentes d’une main à un sabot. Quoi que, on connaît tous un bricoleur du dimanche qui nous ferait dire le contraire…!
Chez le cheval, la latéralité s’exprime d’une part par une dissymétrie longitudinale ET par une plus grande activité oculaire ET par un report de poids sur l’épaule « dominante ». Vous pouvez l’évaluer en observant quel pied votre cheval avance le plus volontiers, sur quelle rêne il aurait tendance à « peser » le plus, sur quel pied il est plus facile de galoper… Ou encore si sa crinière est à gauche ou à droite ; bien que ça relève plus de la corrélation que de la causalité.
Pour en savoir un peu plus sur ce sujet spécifique et comment le déterminer, je vous invite à lire cet article écrit par Pierre Beaupère sur Podologie Équine Libre.

Perception neuro et performance
Maintenant qu’on sait tout ça, on est en droit de se demander pourquoi ces paramètres de latéralité sont intéressants à étudier en équitation. Cette asymétrie a des répercutions à la fois vis-à-vis des paramètres de perception et du développement moteur – et donc – sur la performance en général.
En équitation, ces impacts se traduisent par :
- Perception différente entre la rêne gauche et la rêne droite ; entraînant une différence dans leur tension respective, en plus de la perception induite par le matériau (ça, c'est le sujet de mon étude expérimentale, on y reviendra dans un article futur)
- Un côté duquel le cheval a plus de mal à se ployer (par exemple, difficultés à s'incurver sur le cercle à droite).
- Asymétrie dans le poser des postérieurs, pouvant poser des soucis dans le travail du galop et le travail de 2 pistes et plus.
- Accroissement des difficultés sur le côté court.
Qui sont donc plutôt des problèmes de performances. En revanche, à terme et sur des asymétrie très marquées ou quand le travail devient vraiment très exigeant ; on est sur un risque de blessures. En bref, si votre objectif est d’aller dresser ou sauter à haut niveau, évaluer et adapter votre travail et celui de votre cheval à vos latéralités respectives n’est pas une mauvaise idée. Et si vous avez des difficultés à un niveau de pratique plus modeste ; c’est aussi une piste à explorer !
À titre personnel, observer la latéralité du cheval et du cavalier est probablement l’une des premières choses que je fait pendant une séance de conseil en ergonomie équestre. Vous n’imaginez pas à quel point ça peut être important ! Ça et regarder le type de rênes que vous avez. Mais c’est un autre sujet 😉

Expérimentation
On arrive dans le cœur du sujet. L’étude dont je vous parle en introduction est une observation expérimentale de ces phénomènes et la façon dont cela influence la tension des rênes. Pour se faire, les chercheurs ont sélectionné 11 cavaliers (f=10 m=11, age=29±15, expérience à cheval=18,5±11,5 ans) et leur ont fait passer le test Edimburg Handedness Inventory (test de la latéralité). Ce test consiste à évaluer différents critères sur 2 points et le résultat court de -16 (gaucher) à +16 (droitier). L’index du résultat devait être supérieur à 8 pour tous les cavaliers, ce sont donc tous des droitiers (déso les gauchers).
Afin de limiter les variables et les biais éventuels, les deux chevaux utilisés pour l’étude ne sont connus et montés d’aucun participant. Il s’agit de deux hongres Trakehner de dressage de 19 et 14 ans. Évidement, l’un est droitier et l’autre gaucher ; respectivement mentionnés RL (right lateralised) et LL (left lateralised) dans la suite du texte. La tension des rênes a été enregistrée en continu pour chaque dyads (= couple cavalier/cheval), grâce au SignalScribe Rein Tension Meter monté par Crafted Technology.
Le protocole est le suivant : chaque cavalier a eu 5 minutes pour s’échauffer et se familiariser avec le cheval. Ils sont ensuite invités à décrire un cercle de 20 mètres entre 2 plots en suivant un protocole identique. 4 transitions pas-arrêt et 3 cercles au pas, au trot et au galop ; à main droite et à main gauche. Aucune information ne leur a été donnée à propos de la tension des rênes (ni aucune information sur le sujet d’étude ; évidement).
Influence sur la tension des rênes
Chez les deux chevaux, peu importe l’allure, la direction (piste à main gauche ou droite) ou le cavalier : une tension continue était plus communément appliquée à la rêne du côté dominant du cheval. En contraste, le contact sur la rêne opposée était discontinu ; voire absent par moments (force mesurée=0) :


Plus encore, les pics de tension enregistrés par les sensors étaient plus hauts du côté dominant du cheval que ceux du côté non-dominant ! C’est ce que montrent ces graphiques :

Les cavaliers (droitiers, pour rappel), ont eux exercé plus de tension sur la rêne gauche que sur la rêne droite sur le cercle à main droite. On pourrait se dire que c’est bien normal, puisque la rêne gauche est du coup en rêne extérieure et tient l’épaule du cheval sur le cercle. Mais ce serait si facile… Parce que en fait, ce phénomène ne se retrouve pas sur le cercle à main gauche ! Bien que la rêne droite soit très légèrement plus tendue ; les données ne sont pas significatives.
En revanche (et ça c’est un truc bien connu et documenté maintenant) il existe des différences importantes dans la tension des rênes en fonction des allures. C’est moins utile pour notre shmilblick mais intéressant : 0,7kg au pas, 1,1kg au trot et 1,65kg au galop en moyenne. Un autre paramètre reporté est que les cavaliers avec un meilleur « feeling » avec le cheval appliquent généralement moins de tension dans leur rênes.
Résultats et discutions
Dans la discussion soulevée par cet article, il est rappelé quelques principes intéressants en équitation et dans le sport de manière générale. Tout d’abord, une forte interaction entre préférence du cheval et tension des rênes a été détectée. Une plus grande tension a été appliquée sur la rêne gauche du cheval LL que sur n’importe quelle rêne sur le cheval RL.
L’équilibre, la coordination des centres de gravité et la symétrie sont des paramètres importants de la performance équestre. Les aides dont nous disposons à cheval ne fonctionnent JAMAIS de façon isolée. Aussi, la symétrie n’est pas qu’une question de rênes mais aussi de corps et de posture, de symétrie et d’efficacité des autres aides ; individuellement et ensemble. Retenez bien ça, travailler une aide de manière isolée n’est pas la bonne méthode.
Autre donnée importante (et ça, j’en parle souvent en séance aussi) : lâcher une rêne dans le mouvement ne devrait avoir que peu d’incidence sur l’attitude et la direction de votre cheval. Le contact de la rêne intérieure devrait normalement être toujours légèrement en deçà de celui de la rêne extérieure. La rêne intérieure n’a d’ailleurs que peu d’utilité dans la flexion latérale ; mais on s’écarte du sujet. Ça rejoint donc assez la paragraphe précédent ; ne pas raisonner de manière isolée quand il est question de latéralité.

Un peu de psychomotricité, voulez-vous ?
Nous l’avons vu dans les paragraphes précédents, tout ce qu’il se passe comme différences dans la latéralité n’est pas trop de notre fait. Il ne me semble d’ailleurs pas que les cavaliers soient heureux d’être de traviole, de mettre plus de tension dans une rêne que l’autre. Surtout que plus sa préférence est marquée, plus ce phénomène se renforce. Mais si je vous disait qu’on dispose d’un mode ON/OFF intégré directement dans notre cerveau pour travailler cet aspect là ?
En effet, il est très difficile (sauf chez les gens entraînés pour ça, comme les batteurs par exemple) d’agir précisément à la fois avec le bras ET la jambe du même côté. C’est là que votre – merveilleuse – jambe intérieure entre en scène. Si vous êtes occupés à gérer votre cheval avec votre jambe intérieure ; vous aurez bien du mal à verrouiller votre rêne intérieure. N’est-ce pas merveilleux ?
En outre, le travail conjoint (à plus ou moins grand degrés, selon les courants d’équitation et les réponses de votre cheval) de la jambe intérieure et de la rêne extérieure (eh oui, car en diagonalisation c’est possible par contre !) permet la régulation de l’équilibre, la fermeture des hanches, la protraction accrue du postérieur interne sous la masse… Et au final, la mise en tension de la sangle abdominale, montée du thorax entre les épaules et « true topline » comme disent nos amis Outre Manche.


Quid du mors ?
Certes, nous parlons cerveau et motricité depuis le début de cet article. Mais il y a un sujet qu’il me semble important d’évoquer quand même (puis hé, c’est mon métier !) ; c’est votre mors en lui-même. Votre mors en tant qu’outil peut ou ne peut pas vous aider dans la symétrie de vos actions !
En effet, on remarque sur le terrain qu’une embouchure très mobile – comme peuvent l’être les double brisures par exemple – peuvent accentuer l’effet de la dissymétrie du cavalier sur son cheval. Le mouvement latéral de l’embouchure est alors accentué du côté où le cavalier expérimente des difficultés, créant des stimulis plus appuyés / plus importants que nécessaires. Votre cheval peut alors soit se soustraire de ces stimulis (qui sont inconfortables ou confortables mais qu’il ne comprend pas) soit chercher une réponse à ceux-ci ; qui n’est pas la réponse que vous recherchez en réalité.
Quand on a des soucis d’asymétrie marquée, il est préférable de privilégier :
- Les mors droits, si votre cheval répond correctement aux jambes et à l’assiette (pas de dissociation latérale sur un mors droit !)
- Les mors simple brisure, si vos deux canons sont parfaitement symétriques (sinon, vous accentuez encore la dissymétrie !)
En gros, tant que vous manquez de symétrie dans vos actions latérales, il vaut mieux privilégier des embouchures qui d’emblée, du fait de leur forme et leur articulation ; limitent mécaniquement les mouvements latéraux. Et qui sont eux-même parfaitement symétriques. L’occasion de vous montrer tout ça avec un merveilleux schéma (ça vous avait manqué, j’en suis sûre) :

Qui qu'est symétrique ? C'est pas nous !
Une donnée de cette étude retient l’attention. Là où la différence de tension entre les deux rênes est significative pour le cheval LL ; elle ne l’est pas du tout pour le cheval RL. Ces résultats indiquent que lorsque le cheval est droitier et que son cavalier l’est aussi, alors le contact entre le deux rênes devient plus égal. Des interactions entre le sens du cercle et les rênes, le fait que la main dominante soit ou non rêne intérieure et l’utilisation plus ou moins importante des jambes dans le contrôle des hanches et la projection du postérieur interne ont également été détectées.
Les résultats de l’étude indiquent que l’usage des rênes et leur tension sont influencés à la fois par la latéralité du cavalier ET celle du cheval. La combinaison entre un cheval gaucher et un cavalier droitier tend à augmenter cette asymétrie dans la tension des rênes, pouvant avoir un impact négatif sur la performance. Évidement, des recherches plus approfondies incluant des cavaliers ambidextres et gauchers et un échantillon plus important de chevaux gauchers et droitiers sont nécessaires.
Il y a un test intéressant à faire chez vous si votre cheval pèse toujours sur une rêne, si vous avez des difficultés dans les actions unilatérales, etc… Je le fait faire relativement régulièrement en séance. Sur l’exercice qui vous pose difficulté, prenez vos rênes dans une seule main. La gauche si vous êtes droitier, la droite si vous êtes gauchers (ne trichez pas, j’vous voit !). Reprenez l’exercice bloquant ainsi, en pensant à fonctionner et à compenser l’absence de dissociation latérale avec votre assiette et vos jambes. Si votre cheval bascule moins la nuque, ne se défend plus sur une rêne, ne pèse plus sur l’une des deux, est plus mobile dans ses épaules…Well, vous savez ce qu’il vous reste à faire ! 😉

Laetitia Ruzzene
Cet article a été écrit par Laetitia Ruzzene et appartient au titre des droits d’auteurs au site https://www.bit-fitting.fr. Les textes contenus dans cet article peuvent être réutilisés ou distribués dans la mesure de la mention de son auteur ainsi que de l’origine de l’article (lien URL direct).