Entre abus intolérables, injonctions et culpabilisation… Il semblerait que nous ayons perdu de vue ce qu’est une muserolle, pourquoi elle existe, mais aussi comment et pourquoi on s’en sert. Comme l’usage (ou non) d’une muserolle est très corrélé à l’usage du mors, il semble important d’en parler au sein d’un guide consacré aux embouchures.
Pourquoi en parler ?
La muserolle est un très vieil outil et pourtant on en aura jamais autant parlé que dans notre époque. Ce chapitre a pour objectif de décrire en toute neutralité les états, usages et réglages des muserolles, l’usage de cette dernière étant très fréquent avec un mors.
Certaines personnes usent des muserolles de manière inadéquate, afin de clore la bouche de leurs chevaux. Soit pour empêcher les sorties de langue, soit pour obtenir plus de contrôle. Quelle que soit la justification derrière cet état de fait et quel que soit le niveau du cavalier : aucune n’est valable. Cela ne résout pas le problème de base. Si le cheval passe la langue, son soucis ne sera pas résolu en lui fermant la bouche. Il n’aura juste plus la possibilité physique de le faire ! Mais en plus, l’usage d’une muserolle serrée à outrance a des impacts physiques et physiologiques dramatiques1 pour les chevaux.
Nous avons finalement toutes et tous tellement vu des chevaux en détresse dans ces situations que l’outil a été catégorisé d’office comme « mauvais ».
Cependant, comme toujours, le fautif n’est pas l’outil mais l’utilisateur ou l’utilisatrice. Une tronçonneuse ne tranchera pas le bras de quelqu’un de son propre chef. Par contre, son utilisateur, en ne respectant pas ses précautions d’usage et de sécurité : oui. À ce même titre, une muserolle ne bondit pas de son propre chef ultra serrée sur le nez des chevaux.
Quoi de plus anti-ergonomique qu’un outil mal utilisé ?
C’est quoi une muserolle ?
La muserolle est l’un des premiers outils qui fût utilisé pour le contrôle des équidés (mais aussi des bœufs). Dans le groupe « muserolle » on retrouve un tas d’outils. Plus ou moins utiles et plus ou moins bien pensés.
La muserolle c’est une grande famille qui se décline en deux sous-groupes : les ennasures & les muserolles. On les distingue car on agit via une ennasure, alors que la muserolle est passive. Ainsi, dans l’histoire, les ennasures sont plus anciennes que les muserolles. Ces dernières ont été introduites sur le tard, à une époque bien plus proche de la notre. La première a être utilisée comme muserolle et non comme ennasure est la muserolle Allemande, en usage aux alentours du XIXe siècle en Europe.
Dans les ennasures, on retrouve le hackamore, le side-pull, le licol, le caveçon… Et dans les muserolles, la française, l’allemande, la suédoise, la combinée… Exceptions faites de certaines que l’on pourrait qualifier « d’hybrides » comme la muserolle kineton, à la fois active et passive.
Voici un tableau récapitulatif ci-dessous :
Où ça se met ? Où ça agit ?
Toutes les muserolles et toutes les ennasures se placent sur les mêmes structures, autour du nez et de la mâchoire, à des positions globalement identiques (mais comprenant quelques subtilités). Nous verrons en détail le réglage dans la seconde partie de ce chapitre.
Certains repères anatomiques sont très utiles pour placer convenablement une muserolle. Quel que soit leur forme/conception, elles doivent être placées suffisamment loin du foramen infra-orbitaire (dont on peut repérer la sortie grâce aux apophyses zygomatiques). Et suffisamment loin de la jonction de l’os nasal.
Les ennasures agissent grâce à un contact direct entre l’outil et ces structures. Rappelons au passage que la face n’a aucune capacité de déviation des forces, d’où la nécessité d’avoir du matériel bien adapté. Les muserolles quant à elles n’agissent pas directement sur les structures mais peuvent être amenées à les rencontrer.
Et c’est d’ailleurs précisément leur rôle. Les hybrides quant à elles, peuvent avoir ces deux fonctions simultanément. À ce titre, elles ne présentent pas l’avantage de la clarté recherchée en ergonomie.
Pourquoi faire ?
Nous savons toutes et tous de manière très instinctive à quoi servent les hackamores ou les side-pull, car c’est assez évident. Leur rôle, en tant qu’outil « agissant » est justement d’agir. C’est le même type de codification (pression – absence de pression) qu’avec un mors mais cette fois-ci utilisé sur le nez.
Concernant les muserolles, elles ont un seul usage : indiquer.
Et oui, c’est tout !
Mobilité de la mâchoire
Son rôle de base c’est d’indiquer au cheval la direction et l’angle qu’il peut mettre dans sa flexion de mâchoire. Ou mobilité de la mâchoire, flexion étant un terme anatomiquement erroné. La mobilité de la mandibule est un indispensable dans la performance motrice du cheval. La mâchoire du cheval c’est un très gros bras de levier et – emberlificoté dans tous les ligaments, tendons et muscles – il y a le processus hyoïdien.
Au processus hyoïdien sont attachés beaucoup de muscles des chaînes antérieures. Pour faire court : une langue et une mâchoire souples permettent au cheval d’utiliser ses forces de façon équilibrées.
La muserolle est là pour indiquer au cheval que non seulement il peut (et doit) mobiliser sa mâchoire mais que les limites sont posées là où le nez entre en contact avec la muserolle.
Les recommandations de la FEI2 (1,5 cm entre le bord de l’os nasal et la muserolle) s’appuient sur cette capacité d’ouvrir la bouche. Normalement, un cheval peut bailler avec une muserolle, sans que les ATM3 puissent être endommagées.
Est-ce que la muserolle répartit les pressions du mors ?
Vous avez peut-être déjà vu ou entendu cette affirmation, mais elle n’est pas vraiment étayée. Une muserolle autour du nez ne peut répartir des pressions du mors dans la bouche sans liaison mécanique entre eux. Plusieurs tests avec des capteurs de pression placés sous la muserolle4 ont montré l’absence de corrélation entre les pressions exercées sur la mors via les rênes et la pression enregistrée sous la muserolle.
Les capteurs ne trouvent un résultat que dans deux cas :
- Quand le cheval ouvre très grand la bouche et que la muserolle vient au contact du nez
- Dans le cas de la muserolle Kineton, puisque le mors est accroché à la muserolle
Faut-il utiliser une muserolle ?
En équitation, à part le casque, nous ne sommes jamais obligé(e)s d’utiliser un outil. Si tous les voyants sont au vert, que votre cheval produit des cessions de mâchoire satisfaisantes, sans exagérations et sans risques pour son confort, alors vous pouvez l’enlever.
Et si vous la gardez, pour des raisons diverses, alors elle doit être réglée convenablement, pour faire ce pour quoi elle est prévue : pas trop serrée et pas trop lâche.
En outre, nous pouvons observer chez certains chevaux un vrai confort « psychologique » à l’usage de la muserolle. En effet, c’est un élément de moins à deviner, une information de moins à déduire. Chez les chevaux ayant besoin d’indications et d’assurance c’est une aide intéressante. Si votre cheval est moins consistant, plus hésitant sans, alors peut-être était-il mieux avec.
Le seul cas de figure dans lequel la muserolle est obligatoire c’est en bride. Sans muserolle, une langue passée entre les deux mors de bride par inadvertance et vous pouvez vous retrouver à minima avec un cheval qui n’aura plus jamais confiance en le contact et à maxima avec un bout de langue sectionné. Avec la bride, utilisez une muserolle, question de sécurité pour votre cheval (et de respect du règlement).
Laquelle choisir ?
Il y a fort longtemps, les muserolles étaient utilisées comme suit. D’abord, la muserolle allemande chez le jeune cheval, pour maintenir le mors et travailler « l’acceptation ». Puis muserolle française une fois le cheval moins vert dans le travail.
Voici un secret pas très bien gardé : à part les muserolles françaises et allemandes, les autres n’ont pas vraiment leurs bonnes grâces en termes d’ergonomie.
La muserolle mexicaine (ou croisée) est par exemple inutilement difficile à régler et ne sert guère qu’aux chevaux ayant besoin d’une dilatation maximale des naseaux. Et encore, cela peut être obtenu avec d’autres outils. La muserolle combinée avec son tristement célèbre « flash noseband » n’est pas championne niveau cohésion d’ensemble. La kineton crée des points de pressions supplémentaires et n’amène toujours pas de clarté dans les actions. La demi-lune est difficile dans ces réglages et restreint également légèrement le degré d’ouverture de la mâchoire. Les types « Micklem » sont bien conçues, mais pas forcément réglables.
Pourquoi autant de variations alors ?
Ce qu’il faut se dire, c’est que si ces muserolles existent, c’est parce qu’elles ont répondu à un besoin à un moment ou à un autre et qu’elles peuvent peut-être toujours y répondre. Dans de rares cas, la réponse à une problématique donnée peut passer par du matériel plus complexe. Ce matériel est inutile pour les cas courants mais peut se révéler salutaire pour d’autres. On est toujours dans ce principe de « complexifier au besoin« .
Il existe une palette d’outils phénoménale, certains designs ont (heureusement) disparus (ou presque) et d’autres sont encore en usage aujourd’hui. Certains faisaient bien le job faute de mieux et/ou de connaissances et sont aujourd’hui remplacés par des outils plus performants. Les certitudes d’hier ne sont parfois plus celles de demain.
Comment la choisir ?
Vous avez déterminé si votre cheval avait besoin (ou si vous aviez envie de la garder) d’une muserolle. Vous l’avez choisie en tenant compte des besoins mais aussi de la forme de son nez. En effet, un nez court se prête difficilement au port d’une muserolle large, tout comme un nez présentant un cartilage nasal haut.
La largeur de la muserolle doit être à la fois corrélée à la taille et la forme du nez, mais également à la capacité de dégager les anneaux du mors. En effet, si on peut éviter d’avoir la muserolle qui passe sous les anneaux du mors, c’est mieux. Les anneaux poussés vers l’extérieur par l’épaisseur de la muserolle peuvent gêner le fonctionnement de ceux-ci, particulièrement les anneaux libres (chantilly).
Un autre critère de choix peut aussi être l’endroit ou tombe la doublure de la muserolle (si elle en comporte une). Elle peut permettre d’éviter les crêtes dentaires des arches maxillaires. L’arche maxillaire est plus large que la mandibulaire, ce qui fait apparaître une « crête » sur le côté des joues. Arrêter la doublure avant ces crêtes peut permettre de dégager plus d’espace au dessus de ces dernières :
Ceci dit, si vous avez un cheval très éloigné du morphotype sur lequel se base la construction des muserolles selon les tailles, vous n’aurez pas vraiment le choix. Sauf si vous avez une mesure à donner à un sellier.
Comment la régler ?
La placer…
Tout d’abord, il vous faudra déterminer la hauteur à laquelle placer la muserolle. Dans le cas d’une muserolle française (ou suédoise, c’est le même usage et les mêmes réglages) l’espace disponible sera déterminé entre deux éléments.
Le premier, c’est l’endroit où l’os nasal rencontre l’os incisif. Une façon de trouver cet endroit est de poser votre pouce et votre index de chaque côté de l’os nasal en partant du bas. Vous remontez ensuite lentement le long de celui-ci, jusqu’à sentir que vos doigts ne peuvent plus avancer. Ce petit « V » est l’endroit où se rejoignent les deux os. Le second, c’est la sortie du foramen infra-orbitaire. Ce repère en lui même n’est pas facile à trouver mais les apophyses zygomatiques peuvent aider à se repérer :
Le placement de la muserolle allemande ne répond pas aux mêmes repères, puisqu’elle vient poser sur la jonction matérialisée en rouge, doit passer devant le mors, puis se boucler sous le menton. La présence d’un anneau de jonction est à ce titre indispensable sur une muserolle allemande, pour lui permettre de prendre l’angle adéquat. Et la longueur de chaque morceau doit être étudié pour votre cheval. La muserolle allemande posant sur des structures plus délicates, son choix et ses réglages doivent être opérés de façon minutieuse.
… puis la régler
Une fois que vous avez réglé la muserolle à la hauteur la plus optimale, il va falloir la boucler. Cette fois-ci, toutes les muserolles sont logées à la même enseigne.
Certains parlent de doigts, de main, de phalanges, à l’horizontale, à la verticale, côte à côte, dessus, dessous… Mais ça dépend un peu de chacun et ça n’est donc pas assez précis.
Tout comme pour le réglage du mors, nous allons adopter un réglage moins interprétable. Muserolle bouclée, pincer légèrement la muserolle de chaque côté du nez, sur sa partie la plus haute. Vous devez pouvoir observer un jour entre le nez et la muserolle à cet endroit d’un minimum de 1,5 cm. C’est la valeur minimale permettant de coller aux recommandations faites à la fois par la FEI et par l’ISES5, qui a travaillé sur une jauge. À savoir de ne pas contraindre les mouvements de la mandibule.
Il en va de même pour les ennasures, qui ne doivent pas être « plus serrées ». C’est leur design qui doit pouvoir intrinsèquement conserver l’équilibre latéral de ces outils.
En outre, si la muserolle ne doit pas être trop serrée (ni un peu, ni excessivement), elle ne doit pas être non plus être lâche. Les frottements/tapottements répétés sur la face du cheval peuvent en effet induire une réponse nerveuse aux stimulis. Si vous n’utilisez pas la mmuserolle, préférez l’enlever plutôt que la laisser lâche.
- https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0169060
https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0154179
↩︎ - FEI Eventing Guidelines on Use of Tack, Equipment
and Dress 2023 ↩︎ - Articulations Temporo-Mandibulaires ↩︎
- Tests internes effectués sur 15 chevaux de 9 à 16 ans et dont le matériel avait déjà été adapté lors d’une séance de conseil en ergonomie du matériel et équipés de muserolle française (nb=11), combinée (nb=2), allemande (nb=1) et kineton (nb=1). ↩︎
- International Society for Equitation Science ↩︎