Ça n’est pas le titre d’une fable pour enfant mais ça aurait pu. Dans cet article je vous parle de mors (est-ce vraiment surprenant ?) et de leur relation avec les barres de vos chevaux.

En effet, durant ma veille de Noël (vacances ? qu’est-ce que donc ?) j’ai pu lire ça et là des articles, commentaires et messages de forum affirmant la chose suivante : le mors c’est vilain, surtout les simples brisures, parce que ça agit sur les barres et que ça fait mal. (C’est synthétisé évidement. Avec une touche de cynisme, évidement).

Je vous embarque donc aujourd’hui une fois encore, dans la bouche de nos animaux favoris pour y voir plus clair. C’est parti !

Temps de lecture : environ 15mn.

Classification des sensibilités

Pour bien comprendre de quoi on parle, il est nécessaire de se demander « Pourquoi pourrais-ce être un problème ? ». Et bien oui, après tout, qu’est-ce que ça a de si grave d’agir ou non sur les barres du cheval ?

Du nerf !

Si c’est si problématique, c’est parce que la zone est dite « sensible« . Et pour comprendre cette sensibilité, il faut se pencher sur les différents types de récepteurs nerveux pouvant être présents localement. Partout dans le corps, on distingue deux grands types d’innervation : motrice et sensitive. En gros de chez gros (parce que le sujet est vaste et complexe) : il y a de quoi faire bouger la zone et de quoi faire sentir la zone (dans le sens « toucher » et pas « odorat » hein, j’vous voit v’nir).

Plus on a de terminaisons sensitives dans une zone ; plus cette zone est susceptible d’être « sensible ».

Chaque zone a des nerfs moteurs et sensitifs mais pas en proportion égale.

Pour en revenir à nos barres, on est donc effectivement sur une zone dite sensible de par sa nature. Faut pas oublier que les barres, c’est de la gencive ! Et donc, elle n’est pas vraiment innervée de façon motrice mais est par contre très sensible.

Mais c’est pas que la faute des nerfs…

Des biceps !

Tûûûûûût tûûût déviation de la force ! 
(Ok, je vais me calmer sur les introductions).

Donc, on a vu au dessus que la zone était sensible à cause de son innervation. Mais ce n’est donc pas tout ! Il y a aussi que la muqueuse n’a pas de quoi dévier les forces qui s’exercent sur elle : trop fine.

Vous avez pu le lire dans cet article (ou ici ou ) ; la langue est par exemple une grande championne de la déviation des forces, tout comme les commissures. C’est d’ailleurs elle qui assure une grande partie de l’amortissement des actions du mors.

Sa nature même, ses fibres multidirectionnelles et sa capacité de résistance et de déformation sont co-los-sa-les.

Pour chaque matériaux qui constituent le corps, on a une capacité de déformation élastique (déformation « normale »), plastique (phase où le matériau peut être endommagé) et enfin une phase de rupture (endommagement permanent). Là où la langue a une très grande capacité de déformation élastique ; les barres ne l’ont pas.
Image : https://www.pairform.fr/#!/accueil

Les barres n’ont donc pas les avantages sus-nommés de la langue. Les gencives sont plus richement innervées au niveau sensoriel et l’épaisseur des tissus ne permet pas la déviation des forces.

On comprend donc maintenant pourquoi les barres sont classées « sensibles » et pourquoi il vaut mieux éviter de diriger des forces directement dessus.

Sauf que…

Le mors ne touche pas les barres !

Le loup est là : dans des conditions normales d’équitation, le mors n’entre pas en contact avec les barres. Et agit encore moins dessus !

Mais alors diable pourquoi est-ce que l’on arrête pas d’entendre que tel mors agit sur les barres ? Cette idée, on la doit à ce genre d’images qui circulent depuis de nombreuses années :

Personne n’a pensé à remettre en question ces images ; qui présentent pourtant de gros problèmes de représentation et de biais méthodologiques :

  • Le mors n’est pas tenu par un bridon
  • Le mors n’agit pas via les rênes
  • La place, la translation et l’angle de travail du mors ne sont pas vrais
  • La langue est quasi-inexistante alors qu’elle prend toute la place dans la bouche (et donc, il est impossible de n’agir que sur les commissures ; au passage…)
  • Ce sont des schémas (merci Captain Obvious)
  • Aucune prise en compte de la physique appliquée la plus élémentaire
  • La classification totalement arbitraire des brisures (ça fera l’objet d’un prochain article d’ailleurs, parce que screugneugneu ça m’agace)

La liste n’est pas exhaustive et pose un vrai problème. D’une part parce qu’est entré dans le jargon (y compris de la part de pros !) un phénomène anormal ; d’autre part parce que il y est entré en culpabilisant grandement les cavaliers.

Manque d’information + culpabilisation = les calculs sont pas bons, Kévin.

Attention aux généralités

Vous avez déjà pu le lire ici ou  ou sur ce blog : la répartition des pressions n’est pas si simple, l’action des embouchures non plus, le cheval est un être vivant (si, si) et l’étude des matériaux est importante dans cette compréhension globale.

Il ne faut pas oublier qu’il existe des dizaines (centaines, en fait) de variables pour chaque type de mors et des dizaines de variables individuelles. De façon exponentielle ; ça nous donne des milliers et des milliers de possibilités. Et donc, faire le genre de généralités comme mentionnées au dessus sans prendre en compte ces variables est assez inutile.

Ça peut également conduire à ancrer des idées reçues difficiles à débunker (comme les mors épais = doux ; au hasard) donc méfiance !

Les appuis

On a vu précédemment que la langue faisait quasiment tout le job dans la bouche. Mais je vous ait aussi dit que il y avait des centaines de variations possibles dans l’action et les appuis des embouchures. Ce sont ces variations qui vont d’ailleurs permettre de coller au plus près des préférences du cheval.

Je ne m’y attarderait pas dans cet article – puisque j’en parlerait très en détail prochainement – mais j’aimerai apporter deux éléments importants par rapport à l’impossibilité de faire des généralités, mentionné au dessus.

La première, c’est que les variations d’appuis se font pour une majorité d’embouchures sur et autour de la langue et vers (et non « sur ») les côtés de la bouche. Dans les outils utilisés en ergonomie, cette majorité se transforme quasiment en 100% ; puisqu’on cherche un outil qui va à la fois permettre à la langue d’avoir toute la liberté nécessaire et de jouer son rôle de gestionnaire des forces. 
Exit donc les formes de canon, sections, assemblages, asymétries, angulations, etc ; qui ne permettent pas d’atteindre ce but.

La deuxième, c’est que le nombre de brisures n’est pas l’indicateur de ces appuis. On peut tout à fait avoir un mors droit, un simple brisure et un double brisure qui répartissent tous les 4 les appuis exactement de la même façon et qui ont le même comportement.

Bien qu’il soit vrai que dans la grande distribution équestre on ne trouve généralement pas – même dans ceux qui coûtent très cher – de mors bien dessinés qui répondent à une logique d’adaptation et de confort ; on est quand même entrés dans une ère où c’est en train de changer.

Ces généralités sur les brisures ont donc pris racine dans une époque dont on se sort au fur et à mesure. Aujourd’hui, il devient tout à fait incorrect de dire « les mors simple brisure piquent le palais » ou « les mors droit appuient sur les barres ».

D’abord car on sait que à part quelques designs vraiment mal pensés, ça n’est plus le cas. Qu’on a pu observer, via l’imagerie médicale, le comportement en situation des embouchures. Mais aussi parce qu’on dispose de bien plus de possibilités pour assembler une embouchure qui réponde à des critères de confort et d’adaptation qui vont devenir – je l’espère fort tous les jours – une normalité de conception et d’utilisation.

Et donc je ne m’étale pas plus, vous saurez tout à ce sujet bientôt ! 😉

Quand le mors touche les barres

Et oui, qui dit conditions normales dit conditions anormales ; dans lesquelles justement le mors touche les barres et peut agir directement dessus. Je pense qu’il n’est pas inutile de les passer ici en revue.

Et pour vous aider dans la projection mentale, j’ai demandé un coup de main à Cheval Ta Race pour des illustrations de qualité (parceque vous ne me dites rien mais je sais que vous en avez marre de mes schémas tout pourris).

Nous avons donc 3 cas où, effectivement, le mors peut (mais ne doit toujours pas) agir sur les barres. Les voici ci-dessous par ordre de probabilité d’apparition.

Cas 1 : Le cheval retire la langue

Le cheval a retirer sa langue vers le fond de la bouche et dit au cavalier "Hé hé hé plus de direction hop !"

Ce premier cas de figure est celui que vous êtes le plus susceptible de rencontrer. Par inconfort, ennui…le cheval retire sa langue vers le fond de bouche. La langue n’assure plus son rôle d’amortisseur et le mors se retrouve à agir directement sur les barres (enfin, il agit pas tout seul, hein). Manque de bol pour le cheval : c’est encore plus inconfortable.

À ce propos, le retrait de la langue est un indicateur non négligeable d’inconfort et/ou d’incompréhension vis-à-vis de l’embouchure. Si votre cheval passe régulièrement la langue, une vérification sérieuse des appuis de votre embouchure s’impose.

Cas 2 : Outrepasser la capacité de déviation de la langue

La cavalière tire de toutes ses forces sur les rênes. Le cheval, dont la langue est écrasée lui dit "Chi tu tire che tire aussi"

On l’a vu précédemment (et à chaque fois que je vous parle de cet organe musculaire fascinant), la langue est un matériau élastique isotrope qui a une grande capacité de déviation des forces. Cependant, cette capacité n’est pas illimitée. Si la force exercée sur elle dépasse sa capacité d’absorption ; les forces vont aller se répartir sur les premières structures rigides rencontrées : les barres. La langue est toujours sous le mors mais incapable de se tonifier.

Sachez qu’une langue contrainte, dont la mobilité est altérée, peut dégrader la posture et la locomotion de votre cheval (valable aussi pour le cas précédent, d’ailleurs). Assurer sa pleine mobilité est l’objectif numéro un de toute adaptation ! (ça aussi, ça sera dans un article).

Cette limite d’élasticité où la langue n’est plus capable d’assurer est très très difficile à calculer en dynamique ; en raison notamment des multiples directions des fibres musculaires, de la non linéarité des appuis, etc…
Pour vous donner « grosso merdo » un ordre d’idée : prenons un mors de 125 mm et 16mm d’épaisseur sur section ovale. Il faut exercer avec ce mors une force de plus de 5kg sur la langue au repos pour la compresser totalement. Pour une langue « dynamique », il faut en moyenne près du double.

Cas 3 : Monter sous son cheval

Le cavalier est en dessous de son cheval

Et enfin, le dernier par ordre de probabilité : monter sous son cheval (très improbable, donc). Pour chaque type d’embouchure, en fonction de ses caractéristiques techniques, on a ce que l’on appelle un « angle de travail« . C’est votre bridon, via les montants du mors, couplé à la hauteur de fonctionnement de vos mains qui permet à l’embouchure de garder un angle de fonctionnement normal ; dans l’usage qui lui est prévu.

Cet angle permet aussi par la suite de calculer tout un tas de comportement en fonction de différentes variables mentionnées plus haut dans cet article. Évidement, en montant sous votre cheval ; cet angle ne peut demeurer dans la fourchette qui lui permet un fonctionnement normal. Ceci change l’équilibre entre les forces et la directions de ces dernières. Le comportement de l’embouchure prend alors une tournure anormale et peut tout à fait venir agir sur les côtés de la bouche, contre les barres.

Mais nous pouvons nous accorder à dire que cette situation est assez rare !

Pour conclure !

Félicitations, vous êtes enfin arrivés au dernier paragraphe ! La conclusion de cet article va être fort courte, promis.

En équitation classique, dans des conditions normales d’équitation : le mors n’agit pas sur les barres. En revanche, cela peut advenir dans les situations « anormales » vues précédemment. Et comme toute situations anormales, elles peuvent être évitées. Pensez donc à observer attentivement la relation au mors, à chercher un matériel adapté à votre cheval / votre pratique / vos objectifs / votre niveau et à régler convenablement votre matériel avec ceci.

La langue est la gestionnaire centrale et majoritaire des actions du mors. Sa mobilité et capacité à absorber et dévier les forces ne doit pas être contrariée.

Allez, zou ! À cheval ! (dessus, pas dessous !)

Laetitia Ruzzene

Laetitia Ruzzene

Cet article a été écrit par Laetitia Ruzzene et appartient au titre des droits d’auteurs au site https://www.bit-fitting.fr. Les textes contenus dans cet article peuvent être réutilisés ou distribués dans la mesure de la mention de son auteur ainsi que de l’origine de l’article (lien URL direct).

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