De nos jours les embouchures sont fabriquées dans une très grande variété de matériaux : alliages, polymères synthétiques, caoutchouc, cuir…
Tour d’horizon dans ce chapitre de ces différents matériaux : familles, propriétés, avantages, inconvénients…
Nous nous intéresserons également à la salivation. La présence de salive à la commissure des lèvres est communément acceptée comme étant un signe de bonne connexion entre la main et la bouche du cheval et de décontraction. Mais est-ce vraiment si simple ? Doit-on rechercher un cheval qui salive ?
Science des matériaux
Créer et étudier des matériaux est une science à part entière : c’est la Science des matériaux. Il convient avant de commencer de cerner certaines informations essentielles lorsque l’on parle de matériaux.
Les familles de matériaux
On distingue 4 grandes familles de matériaux :
- Les métalliques : métaux « purs », alliages.
- Les organiques : cuir, caoutchouc, plastique…
- Les minéraux (qui ne nous concernent pas vraiment) : verre, céramique…
- Les composites : kevlar, fibre de verre résinée… (peuvent être présents au niveau de la selle mais pas dans la bouche donc on laisse de côté aussi)
Nous avons donc surtout deux familles qui fournissent les matériaux des embouchures : métalliques et organiques. Evidemment, le nombre et la variété de matériaux présents dans chaque famille est colossale. Nous ne nous concentrerons que sur ce qui est utilisé majoritairement au niveau des embouchures.
Propriétés physiques et mécaniques
Un matériau possède plusieurs propriétés mécaniques et physiques. Elles sont plus ou moins importantes selon le contexte et l’usage pour lequel ils sont utilisés. Parmi ces propriétés, on distingue les plus importantes (communes à tout matériau) :
- La masse volumique, exprimée en g/L ou en g/m3. Il s’agit de la masse rapportée au volume du matériau dans l’espace. 1m3 de polystyrène n’aura pas la même masse que 1m3 d’acier.
- L’élasticité et la déformation (on en a déjà parlé ici, les muscles sont aussi des matériaux !) qui est la capacité de déformation d’un matériau avant déformation permanente.
- La résistance, qui permet de caractériser le comportement du matériau en fonction de diverses charges, efforts et contraintes.
- La conductivité électrique, qui détermine si le matériau laisse passer le courant électrique ou si il est isolant. (qui n’a jamais pris une châtaigne en touchant la bouclerie du licol pendu à l’entrée du pré ? Huuum ?) Cette propriété est fortement reliée à la conduction de chaleur
- L’oxydabilité, où la résistance du matériau à l’humidité. Cette dernière nous intéresse particulièrement puisque les embouchures sont utilisées en milieu humide. Et l’oxydation peut nuire à la résistance d’un matériau, en plus de former des composés chimiques plus ou moins bienvenus.
Ça, c’est pour les propriétés de base et tous les matériaux y passent : métaux, plastiques, caoutchoucs, etc… Les fabricants ont a prendre en compte d’autres facteurs qui ont rapport surtout à la façon de travailler le matériau (temp de fusion, coulage ou formage…). Nous n’entrerons pas plus dans le détail ici.
Propriétés importantes pour les embouchures
Dans la mesure où les matériaux des embouchures vont dans la bouche de nos chevaux, il y a des propriétés plus importantes que d’autres à prendre en compte.
La conductivité thermique : elle représente l’énergie/unité de surface/temps transférée. Plus simplement, c’est la capacité pour un matériau d’emmagasiner la chaleur. Cela détermine si un matériau va rester froid une fois en bouche ou monter à la température du corps (confort). La capacité thermique, son associée, est la capacité pour le matériau donné de rester à température.
Une autre composante importante est l’allongement à la rupture. C’est la capacité d’un matériau à résister à une force en traction. À cheval on imagine bien pourquoi cette donnée est importante et pas que pour le mors ! Le cuir de briderie a aussi été sélectionné pour cette même résistance (mais si il est pas top à la base ou mal entretenu, il perd de cette résistance physique et la sécurité est en jeu ! (cf la rêne sèche et raide qui pète en plein milieu d’un cross)). Cette composante est également liée à la ductilité (capacité de déformation avant rupture), à la fatigue (résistance d’un matériau à son environnement et aux forces qui s’exercent sur lui) et la solubilité en milieu humide.
Toutes ces propriétés sont des composantes qui entrent également en compte dans le choix d’un matériau destiné à une embouchure. Mais la plus importante reste encore la biodisponibilité.
La biodisponibilité
On quitte un instant la Science des matériaux pour se pencher sur un terme pharmacologique. C’est la biodisponibilité.
En pharmacologie1, la biodisponibilité est la proportion d’une substance qui atteint la circulation sanguine2 sous forme inchangée. C’est un outil essentiel en pharmacocinétique, car la biodisponibilité doit être prise en considération lors du calcul des doses pour des voies d’administration autres qu’intraveineuse.
Wikipédia
Transposée et simplifiée pour nos embouchures, c’est l’impact que pourrait éventuellement avoir l’ingestion d’un matériau. C’est se poser la question : est-ce-que le matériau ou une partie du matériau ou la réaction chimique d’un matériau peut être ingéré/absorbé par l’organisme ? Et si oui quelles pourraient en être les conséquences ?
Outre le fait d’écarter la toxicité éventuelle d’une embouchure c’est aussi se demander si le matériau pourrait provoquer des allergies ou tout autre désagrément s’il est avalé ou absorbé via les muqueuses.
Qui ne pense pas aux bouts de mors en caoutchouc disparus de l’embouchure en ce moment même…?
Comment savoir ?
C’est quelque chose de somme toute assez compliqué à savoir. Mais – fort heureusement – les matériaux utilisés en orthodontie humaine ont fait l’objet d’études poussées et peuvent servir de base. Il faut noter toutefois qu’il faut transposer une étude de l’humain à l’animal avec précaution. Mais cela permet d’écarter toxicité et biodisponibilité trop importante. Les recherches menées sur les matériaux en orthodontie humaine placent la balance risque/bénéfice en faveur de l’acier inoxydable et des alliages pauvres en nickel.
La biodisponibilité va concerner autant les matériaux métalliques que organiques. Les procédés de dépilation du cuir utilisant par exemple de la chaux peuvent poser question pour une utilisation dans la bouche du cheval.
Pour ce qui concerne nos amis les équidés, il n’y a eu aucune preuve vétérinaire publiée de chevaux allergiques aux métaux contenus dans les mors. De même, aucune publication n’a démontré une quelconque toxicité induite par l’utilisation de mors en métal dans la bouche des chevaux jusqu’ici.
Une terrible anecdote
Aux alentour des années -800 avant J.C, les mors étaient en grande majorité fabriqués en bronze. La biodisponibilité du bronze et sa toxicité sont très élevées. Les chevaux restant plusieurs heures embouchés avec leurs mors en bronzes, l’absorption du matériau avait lieu à des doses toxiques. Ils mourraient rapidement d’un empoisonnement.
Le bronze sera alors abandonné pour le fer.
Les réactions ioniques
Certaines embouchure, sont réputées avoir un goût. Sur les alliages métalliques, cela est dû à un phénomène qui se nomme réaction d’oxydation. Ce phénomène physique tout à fait normal donne un « goût » au métal plus ou moins prononcé. Et les chevaux expriment en général assez clairement leur goût ou leur dégoût pour phénomène !
C’est particulièrement vrai avec les alliages contenant du cuivre en plus ou moins grande quantité, dont le « goût » est puissant et caractéristique. Tenez une pièce de 5 centimes au creux de votre main un jour de chaleur pour le constater.
Les ions métalliques peuvent, en se dissolvant dans un milieu humide acide et en entrant en contact avec les papilles gustatives, « avoir du goût ». Certains métaux peuvent également relâcher des composés organiques volatiles produisant des odeurs, dans des milieux basiques ou neutres.
La salive du cheval est normalement neutre mais peut devenir légèrement plus acide et 3 chémorécepteurs lui permettent de distinguer le goût. Le cuivre est loin d’être le seul dans ce cas mais son odeur est forte et très caractéristique.
Certains chevaux sont indifférents à ces odeur tandis que d’autres refusent catégoriquement d’y « goûter ». C’est une simple question de préférence.
Petit précis des matériaux
Dans cette seconde partie nous allons passer en revue les matériaux les plus utilisés, leurs avantages mais aussi leurs inconvénients. La liste n’est pas exhaustive, d’autant que les alliages peuvent avoir des quantités colossales de mélanges différents. Chaque marque a sa recette, ce qui complexifie encore les choses. Nous regarderons ici les matériaux les plus courants, de façon générique.
Les métalliques
The king of the steel : l’acier inoxydable
L’acier inoxydable, couramment appelé « inox » est un acier, c’est à dire un alliage à base de fer contenant peu de carbone.
Cet acier est recouvert d’une couche d’oxyde chromium à hauteur de 16 à 18%. Le chrome a la particularité de ne pas se dégrader au contact de l’air et de l’humidité et d’être peu sensible à la corrosion. Cette couche d’oxyde confère à l’inox son caractère inoxydable et le rend pratiquement inattaquable : la couche d’oxyde étant auto-régénérante au niveau micrométrique.
Les plus :
- Excellente biocompatibilité
- Entièrement recyclable
- Insensible aux produits organiques
- Grande solidité
- Longue durée de vie
- Très répandu
- Prix moyen €€
Les moins :
- Mauvaise conductivité thermique
- Mauvais équilibrage thermique
- Poids élevé
Le maillechort | German silver
Le maillechort, aussi appelé German silver, est un alliage composé de cuivre, de nickel et de zinc en proportions variables. Il peut être soit de couleur dorée, soit de couleur argentée selon la proportion de cuivre qu’il contient.
Les plus :
- Matière chaleureuse, bonne conductivité thermique
- « Goût »
- Peu onéreux €
- Très répandu
Les moins :
- Ne se maintient pas bien à température
- Désargentement possible dans la bouche
- Le nickel peut être allergisant
- Durée de vie moyenne
- « Goût »
Aurigan
L’aurigan est un alliage dont le brevet a été déposé par une marque d’embouchures allemande bien connue. Il est composé de 85% de cuivre, 4% de silicium, et 11% de zinc.
Les plus :
- Monte rapidement à température
- Reste assez stable en température
- Beaucoup de « goût »
Les moins :
- Beaucoup de « goût »
- Moyennement durable (haut taux d’oxydation)
- Moyennement onéreux €€€
Sensogan
Le sensogan est également un alliage dont le brevet a été déposé par une marque d’embouchures allemande bien connue. Il est assez semblable à l’aurigan, y compris dans ces avantages et ses inconvénients.
La différence majeure avec l’aurigan est que le manganèse remplace le silicium dans la composition et que le cuivre y est présent en moins grande quantité.
Cyprium
Le cyprium est un cupro-aluminium, c’est à dire qu’il est composé d’une très grande proportion de cuivre et d’aluminium. Il peut parfois contenir également un peu de fer.
Les plus :
- Léger et résistant
- Monte très rapidement à température
- « Goût » très prononcé
- Moyennement onéreux €€
Les moins :
- « Goût » très prononcé
- Peu durable (très grande oxydation)
Salox gold
Le salox gold est un alliage cuivré développé et breveté par une grande marque d’embouchures anglaise. La composition exacte n’est pas divulguée mais cet alliage est composée de cuivre et ne contient pas de métaux potentiellement allergènes comme le nickel.
Les plus :
- Monte très vite à température du corps (7 secondes)
- Reste stable une fois celle-ci atteinte
- « Goût » léger
- Résistant
- Bonne durée de vie
Les moins :
- Onéreux €€€€
- « Goût » léger
Le titane
Le titane est un métal très résistant, très propre et très léger (masse volumique inférieure d’au moins 40% à l’acier). Les bactéries ne l’aimant en outre pas beaucoup, il est très propre et complètement biocompatible. C’est un matériau de choix pour les mors.
Les plus :
- Très, très léger
- Résistance comparable à l’inox
- Très grande durée de vie
- Excellente biocompatibilité
Les moins :
- Peu répandu
- Reste assez froid-tiède
- Onéreux €€€€
Fer bleu | Fer doux
Le fer est le métal le plus répandu autour de nous. Il ne s’utilise pas à l’état pur mais en mélange. Sous cette forme d’acier dit doux, il est généralement très sensible à l’eau et à l’oxygène. La couleur bleue est le résultat d’une couche de corrosion dont la couleur changera avec le temps.
Les plus :
- « Goût » très prononcé
- Léger et résistant
- Monte rapidement en température
- Bon équilibre thermique
- Moyennement onéreux €€
Les moins :
- « Goût » très prononcé
- S’oxyde rapidement, dure moyennement dans le temps
- Peu répandu
Les matériaux organiques
Caoutchouc
Le caoutchouc est un polymère qui peut être d’origine naturelle (transformation du latex) ou synthétique (transformation d’hydrocarbures). Naturel ou synthétique, il est forcément mélangé à d’autres ingrédients ou vulcanisé ce qui renforce ses propriétés.
Les plus :
- Confort d’accueil, douceur du matériau
- Surface chaleureuse
- Peu onéreux €
Les moins :
- Risque allergisant (caoutchoucs issus de l’hévéa)
- Reste froid/tiède en bouche
- Cassant à basse température
- Élasticité rend les actions « flottantes »
- Souvent très épais
- Courte durée de vie
- Des morceaux peuvent être croqués et avalés
La résine (les résines)
Les résines (nombreuses formulations et compositions différentes) sont des polymères plastiques. Ce sont des bases qui, après adjonction d’autres produits chimiques, durcissent. Les résines utilisées pour les embouchures sont généralement très résistantes à l’abrasion.
Les plus :
- Confort d’accueil, douceur du matériau
- Grande résistance à l’abrasion
- Répandu
- Moyennement onéreux €€
Les moins :
- Mauvaise conductivité thermique
- Durée de vie limitée
- Composition floue / biocompatibilité inconnue
- Cassant à basse température
Attention : la composition de ces résines est très variable mais surtout les précautions d’usage sont nombreuses. Le terme « alimentaire » signifie juste que la résine en question a obtenue une autorisation la rendant apte entrer en contact avec des produits destinés à l’alimentation humaine. Une résine n’est jamais alimentaire en elle-même et alimentaire ne signifie pas comestible.
Les risques biologiques liés à l’ingestion de composants (matrices et durcisseurs) ou de morceaux de résine chez le cheval n’ont fait l’objet d’aucune étude à ce jour3.
Le cuir
Le cuir est la transformation de la peau d’un animal par rupture des chaînes aminées. Il existe deux grands procédés de tannage : « végétal » et « minéral ». En général du tannage végétal pour les mors. Après certaines étapes communes aux deux procédés utilisant des produits chimiques pour le nettoyage et la stabilisation, le cuir sera teinté grâce à des matériaux végétaux (broux, par exemple)
Les plus :
- Douceur en bouche
- Surface chaleureuse
- Moyennement onéreux €€
Les moins :
- Mauvaise conductivité thermique
- S’abîme rapidement
- Très souple (hors mors recouverts)
- Biocompatibilité inconnue
Attention : bien que le cuir soit « tanné végétal », il n’a rien à voir avec un procédé plus écologique/plus respectueux de l’environnement. Ce sont simplement que les tanins utilisés sont d’origine végétale, au lieu d’être d’origine minérale ou synthétique. Les étapes de transformation de la peau utilisent de très grandes quantités d’eau, des tanins et des produits dont la biocompatibilité et l’inocuité chez le cheval n’ont fait l’objet d’aucune étude.
Critères de choix
Voilà, nous avons fait le tour des matériaux que l’on trouve le plus souvent en briderie ! Quelques recommandations avant de passer au sujet le plus glamour : la salive.
Tout d’abord, ça n’est pas parce que un matériau a plus de « plus » que de « moins » que c’est absolument celui-ci qu’il faut choisir pour votre cheval. Cela dépend de ce que l’on cherche et des préférences de votre cheval.
De même, certains « moins » peuvent être des « plus », momentanément. Par exemple, la souplesse des mors en caoutchouc ou en cuir est un « moins » car elle brouille ou retarde les stimuli, rend les directives peu compréhensibles côté cheval. Mais selon les cas, ce « moins » peut être un avantage !
Quant au « goût », il est à la fois dans les avantages et les inconvénients. Pourquoi ? Très simplement car c’est un avantage pour certains chevaux, un problème pour d’autres. Comme on dit « les goûts et les couleurs ça ne se discute pas » et c’est exactement pareil ici. Pour certains ce peut être un gros plus et pour d’autres vraiment pas du tout.
La salive : est-ce si fantastique ?
Venons en enfin à un sujet glamour ! La salive, la bave, la glaviouse… La présence de salive à la commissure des lèvres est communément acceptée comme étant un signe de bonne connexion entre la main et la bouche du cheval et de décontraction.
Qu’en est-il vraiment ? Une fois n’est pas coutume, tout n’est pas noir ou blanc.
Ce qu’est la salive
D’abord, la salive c’est quoi ? D’où est-ce que ça vient ? L’ami Wikipédia nous en dit ceci :
La salive est un liquide biologique sécrété par les glandes salivaires, à l’intérieur de la bouche chez la plupart des animaux. La salivation est la production de la salive, tandis que l’insalivation est l’imprégnation des aliments par la salive au cours de leur passage dans la bouche et de leur mastication.
Wikipédia
L’activité des glandes salivaires principales répond à un contrôle nerveux mixte induit par des stimulus olfactifs, visuels, gustatifs ou neuropsychologiques. De l’autre côté, les glandes salivaires secondaires répondent à une stimulation au niveau local (notamment pour l’imprégnation de la nourriture).
Mais plus important encore – et c’est ce qui va nous intéresser ici – quelle est la relation entre salive et stress ? Entre salive et sensation agréable ? C’est là que ça se complique :
En lien avec le système nerveux3, la salive joue un double rôle d’humidification des muqueuses et de préparation des aliments pour leur digestion. […] La salivation est un acte réflexe, mais […] La salivation peut aussi être provoquée par des douleurs, une sensation agréable, voire un souvenir, autant que par le contact mécanique avec les aliments. Elle est au cœur de l’expérience de Pavlov*.
Wikipédia
Comme vous pouvez le voir au dessus, la production de salive peut à la fois être un indicateur de « bien-être » comme un indicateur de « mal-être ». Alors comment faire la différence ?
La relation au stress
En 2018, une équipe de chercheurs Suédois a présenté à la conférence de l’ISES4 les résultats d’une observation qu’ils avaient mené sur des chevaux sauvages et portant sur le « mâchouillage » non nutritif. Très synthétiquement, ils ont observé durant 80 heures des chevaux sauvages et ont collecté 202 séquences de ce type. Puis ils ont relié ces séquences aux comportements des chevaux entre eux. Entre « dominants » et « dominés » mais aussi entre situation de « tension » et de « décontraction ».
Ce qui est intéressant dans leurs observations, c’est que le fait de mâcher (et lécher et saliver) sans présence de nourriture se présente dans des situations radicalement différentes. Il y a eu plus d’occurences chez les chevaux « agresseurs » que chez les « agressés ». Et une fréquence plus élevée durant les transitions entre stress et relaxation ; comme réponse à une bouche sèche (induite par la situation stressante).
Ce réflexe, dans la « nature » est donc tantôt assimilé à la décontraction, tantôt au stress, tantôt à la soumission, tantôt à la dominance. Le fait de mâcher (et saliver) sans présence de nourriture peut donc être un indicateur de beaucoup d’états différents.
Une question complexe
L’absence totale de salive, une bouche sèche, n’est jamais un bon signe quoi qu’il advienne. L’absence de salivation se relie plus certainement que le reste à une excitation du système nerveux sympathique. L’apparition de salive et du réflexe déglutoire concorde quant à elle à la disparition du stress :
« Les chercheurs en sont arrivés à la conclusion que mâcher peut être associé à un changement, de la bouche sèche causée par le stress (excitation sympathique) à la salivation associée à la relaxation (activité parasympathique).
Les résultats de cette étude suggèrent que le mâchage non-nutritif n’était pas utilisé comme signal de soumission par les chevaux dans le contexte d’observation, mais apparaissait après une situation de tension, plutôt comme une réponse à la bouche sèche. »
ISES (traduction)
Et à cheval ?
Dans le travail monté, qu’il le soit avec ou sans mors, il faut pouvoir observer ce que l’on appelle une « bouche fraîche ». Par ce terme, il faut entendre que l’on cherche à observer une bouche qui est humide, avec une lubrification suffisante et associée à des mobilisations de la mâchoire5.
Trop, c’est trop. Et pas assez, c’est pas assez.
Comme à chaque fois que l’on cherche à détecter une situation « normale », il faut le faire en regard de chaque individu. Certains chevaux salivent naturellement plus que d’autres. Et vous dire « il faut 10 ml de salive aux commissures » serait tout à fait ridicule. Quand les chevaux insalivent au pré, ils n’humectent pas leurs aliments tous de la même façon non plus.
Nous l’avons vu plus haut avec les chevaux sauvages, il est difficile de se situer quant à la salivation comme indicateur unique. Il est donc logique d’avoir du mal à détecter une bonne liaison main-bouche uniquement par la salivation. Un tas d’autres indicateurs, bien plus fiables que la salive peuvent indiquer un travail dans la décontraction et l’équilibre.
Il faut donc faire preuve de recul et d’un peu de bon sens. Trouver un « juste milieu » où l’on ne constate pas de crispation. Où le cheval s’utilise pleinement et mobilise sa mâchoire de façon non excessive, tout en aillant une « bouche fraîche ».
Il y a donc deux extrêmes autour de ce qui est normal :
L’excès de salive
Une hypersécrétion de salive indique que la salivation se fait mais qu’elle ne peut pas s’évacuer correctement ; notamment via la déglutition. Contrairement à ce que l’on pourrait aisément croire, la contrainte matérielle à déglutir ne vient pas vraiment de la muserolle (sauf si super mal réglée), mais beaucoup de la têtière. (voir le premier schéma de cette section).
Outre des contraintes mécaniques – qu’elles soient le fait du matériel et/ou du cavalier – il y a aussi l’intensité de l’effort qui peut entrer en compte lors d’hyper-salivation. Ne respirant pas par la bouche ; si un cheval respire, il ne déglutit pas. Et si il ne déglutit pas, il ne respire pas. Lors d’efforts particulièrement intenses, la priorité est la respiration plutôt que la déglutition. Ça ne veut toujours pas dire que c’est normal : il faut alors adapter l’intensité de l’effort !
L’absence de salive
Une bouche totalement sèche (ou xérostomie ou hyposialie) indique un état de crispation assez important. Le fait de ne pas saliver du tout est révélateur d’un état de stress. La sensation est très désagréable pour le cheval et peut l’emmener à mobiliser à outrance sa mâchoire, essayer de se lécher les lèvres, bailler à l’excès…
Mais il y a en plus du stress un tas de raisons de la non-production de salive. Aussi, si cet état persiste chez votre cheval également dehors du travail, la visite du vétérinaire est souhaitable.
Cause ou conséquence de la décontraction ?
Est-ce que le fait de mâcher et saliver permet la décontraction ou bien le cheval mâche et salive parce qu’il est dans la décontraction ?
On ne le sait pas vraiment :
“The study showed that the horses were chewing between calm and relaxed situations, but it does not say if chewing comes as a response to relaxing or if chewing helps them relax. To able to look at this more closely I believe a more controlled study with stress measurements is needed.”
Trad : L’étude a montré que les chevaux mâchaient entre des situations calmes et détendues mais n’indique pas si la mastication vient en réponse à la relaxation ou si la mastication les aide à se détendre. Pour pouvoir regarder cela de plus près, je pense qu’une étude plus contrôlée avec des mesures de stress est nécessaire.
Margrete Lie – Chercheur
Donc, déclencher la salivation par des moyens artificiels (pâte à mors, beurre, miel, etc…) ne garantit pas la décontraction. Ça cache au mieux la misère.
En équitation, un autre facteur entre en compte lorsque l’on parle de décontraction : la mobilisation de la mâchoire. Ce sujet ne sera pas détaillé ici, étant un sujet lié mais bien différent, mais son évocation est intéressante.
En effet, différents courants de pensée, écoles et grands maîtres se « déchirent » sur ce sujet précis depuis des siècles. Il n’est toujours pas possible à ce jour d’affirmer mordicus si la mobilité de la mâchoire est un préalable. Ou une conséquence à la décontraction. Ou les deux.
La seule chose sur laquelle les auteurs s’accordent : il faut la rechercher dans le travail.
Et bien c’est un peu pareil pour la bouche fraîche.
Est-ce que les mors peuvent encourager la salivation ?
Avoir une « bouche fraîche » au travail n’est pas l’apanage du travail embouché. En effet, cet équilibre dans la respiration, la salivation et la déglutition doit s’obtenir avec n’importe quel matériel : embouchures, ennasures, etc.
Quant à la question spécifiquement posée : peut-être que oui, peut-être que non.
Vous l’avez lu dans la partie concernant les matériaux utilisés dans les embouchures : certains alliages ont un goût. La captation du goût par les papilles gustatives peut (mais pas obligé) déclencher la sécrétion de salive. C’est une stimulation qui peut effectivement déclencher la sécrétion.
Mais, des chercheurs ont aussi observé que différents mors de différentes matières n’augmentent pas significativement la quantité de salive produite ni la fréquence de déglutition.
Ni entre ennasures et embouchures, ni entre même type de matériel :
« The fact that swallowing frequency did not
increase when horses wore a bit argues against an
increase in salivation. »Trad : Le fait que la fréquence de déglutition n’augmente pas lorsque les chevaux portent un mors argumente contre une augmentation de la salivation.
Effects of different bits and bridles on frequency of induced swallowing in cantering horses. J Manfredi, HM Clayton and FJ Derksen.
Contrainte mécanique
Par contre, ils ont observé qu’une plus grande flexion de la nuque (angle plus fermé entre mandibule et encolure) pouvait rendre plus difficile la déglutition à cause de la compression du pharynx et du larynx et des structures permettant la déglutition :
« The reduced swallowing frequency with the Myler bit may have beendue to physical interaction between the bit and the oral structures, leading to restriction of jaw or
tongue motion, stimulation of sensory receptors that inhibited swallowing or reduction in salivation. »Trad : La fréquence de déglutition réduite avec le mors Myler peut être due à une interaction physique entre le mors et les structures buccales, entraînant une restriction de la mâchoire ou du mouvement de la langue, stimulation des récepteurs sensoriels ayant inhibé la déglutition ou entraîné la réduction de la salivation.
Effects of different bits and bridles on frequency of induced swallowing in cantering horses. J Manfredi, HM Clayton and FJ Derksen.
Il y a plein d’autres choses intéressantes dans cette étude (et des petits couacs aussi) mais c’est intéressant de voir comment les chercheurs relient immédiatement le phénomène à une explication physiologique (en l’occurrence, pas de cavalier dans cette étude).
Ce qui est très intéressant en relation à la question c’est que la quantité de salive produite ne change pas non plus entre matériel sans mors (dans cette étude, le licol) et avec. La « fraîcheur » de la bouche n’est donc pas uniquement réservée aux embouchures et la salivation produite n’est pas uniquement une réponse à un stimulus local.
Le matériau de l’embouchure tient donc une place largement anecdotique vis-à-vis de ce sujet. Il faut en outre chercher d’autres observables pour juger de la décontraction de son cheval.
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Pharmacologie ↩︎
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Circulation_sanguine ↩︎
- Mai 2024. En cas de toute et/ou forte odeur, ne pas utiliser de mors en résine. ↩︎
- ISES : International Society for Equitation Science. ↩︎
- Parler de décontraction durant l’effort physique peut paraître oxymore. La décontraction peut être remplacée par le mot « équilibre », c-à-d le moment où les forces sont en balance. C’est le moment où le cheval est tonique dans son corps et dans ces muscles sans être crispé ou avachi et peut ainsi utiliser ses forces de façon optimales. ↩︎