« Les mors épais sont moins sévères/plus doux que les mors fins » est une croyance très (trop !) répandue. Nous allons voir dans ce chapitre pourquoi elle est complètement erronée. Et pourquoi il est important que les mentalités changent sur ce sujet, notamment vis-à-vis des jeunes chevaux. Le diamètre du mors n’est pas seul à devoir être considéré. Nous regarderons également comment connaître la taille (en longueur) du mors de son cheval et pourquoi la déterminer n’est finalement pas si évident que ça !
Diamètre du mors
Nous avons vu en préambule que le diamètre du mors était la cible d’une croyance très ancrée chez les cavaliers.
Pour expliquer ce point de vue, un argumentaire fréquent est « la parabole du sac de courses ». Soit le fait que si l’on porte un sac de courses très lourd, nous aurons plus mal aux mains si les poignées sont fines plutôt que grosses.
Donc, un mors de diamètre épais1 est plus doux qu’un mors de diamètre fin2, CQFD ?
Pas si sûr !
La pression et sa répartition
Cette idée reçue part d’une réflexion tout à fait juste sur la répartition de la pression. Vous le savez (même si ça remonte à loin peut-être !) la pression est égale à la force divisée par la surface. Cela signifie qu’à force égale, si la surface est très petite elle sera très concentrée. Si la surface est très grande elle sera très diffuse. Illustration ci-dessous :
Lors d’une action mécanique, connaître l’intensité de la force exercée n’est parfois pas suffisant, il faut aussi prendre en compte la surface sur laquelle cette force est répartie. Pour illustrer cette notion, on peut imaginer qu’on essaie d’enfoncer une quille de bowling dans un mur avec un marteau. De manière assez évidente, le résultat ne va pas être très convainquant. D’un autre coté, si on fait la même chose avec un clou, le clou s’enfonce parfaitement. En effet, la force appliquée par le clou sur le mur est répartie sur la surface de contact entre le clou et le mur, ce qui fait que toute la force est concentrée dans une toute petite surface. Pour la quille de bowling en revanche, cette force (qui est de même amplitude) est répartie sur la surface de la base de la quille, qui est beaucoup plus grande, et est donc beaucoup moins concentrée.
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On a donc une histoire de force (exercée via les rênes), de répartition de la pression (via l’aire du mors) et de surface (la langue, les lèvres).
Le sac de courses
Transposé à ce sac de courses très lourd, le poids du sac représente la force. La poignée est l’endroit de la concentration de la pression et la main la surface sur laquelle elle se répartit.
Plus la poignée est petite, fine, plus le sac de courses sera pénible à porter. En effet, la pression ne peut se répartir que sur une petite surface, elle est donc très localisée. Et évidemment difficile à supporter. A l’inverse, plus la poignée est grosse, épaisse, plus le sac de course sera confortable à porter. La pression se répartit sur une plus grande surface, elle est plus diffuse et plus tolérable…
Cette parabole avec ce sac de courses très lourd sert de justification à l’usage de mors de fort diamètre. Mais en fait, ça n’est pas l’épaisseur du mors – ou de la poignée du sac de courses – qui fait la différence mais sa forme.
Une histoire de formes
Ce qui fait que la poignée de notre sac de courses est plus confortable c’est plutôt sa forme. Regardons cette image et imaginons que ce soient les sections de deux mors – ou deux poignées :
Sur ce schéma très simplifié3 nous pouvons observer quelque chose d’intéressant. Malgré l’augmentation considérable de diamètre entre une section et l’autre, la surface portante n’a que très peu augmenté.
Ce qui rend la poignée du sac confortable, ça n’est pas le fait qu’elle conserve sa forme toute ronde : c’est l’augmentation de la surface d’appui dans les mains. Au lieu que tout le poids du sac porte sur une petite surface, il porte sur une plus grande surface. Le poids du sac n’a pas changé mais le porter est plus confortable.
Étant donné que l’on a augmenté fortement le diamètre mais que la surface d’appui n’a, elle, que très peu augmentée… Ces poignées doivent être nécessairement rondes pour augmenter cette surface, du coup ?
Sur ce diagramme, on peut remarquer qu’à diamètres égaux, la forme des sections augmente considérablement la surface d’appui. Et une autre donnée change du tout au tout : l’encombrement.
Nous avons en effet exactement les mêmes diamètres en jeu entre les sections rondes et les sections aplaties. En revanche, nous avons une surface d’appui très supérieure sur les sections aplaties et un encombrement très inférieur !
Forme vs. diamètre du mors
Ca n’est donc pas parce que l’embouchure – la poignée – est épaisse ou son diamètre important qui fait que les pressions sont mieux réparties. En fait, les plus confortables des poignées, ce sont celles qui sont plates et larges et non rondes et larges.
Evidemment, en transposant, ça n’est pas non plus parce qu’un mors est épais qu’il est plus confortable / répartit mieux la pression / est plus doux4. Ceci dit, ce n’est pas non plus parce qu’il est tout plat. Il faut prendre en compte le fait que sous la tension des rênes, il entre en rotation. Et donc, sa surface d’appui change.
Les stimuli sont présents partout
La pression, sa gestion, son augmentation ou sa suppression fait parti du vocabulaire dont nous disposons à cheval. Nous en usons partout et avec tout le matériel : ça n’est pas QUE l’apanage des mors, bien au contraire. C’est pour la même raison que sur les muserolles des ennasures, les pressions réparties sur la face du cheval le sont mieux avec une muserolle plate plutôt que ronde.
Ça ne veut pas dire qu’il faut courir acheter des muserolles plates, bien sûr. La répartition de la pressions change la perception et la vitesse du stimuli.
Mais revenons aux embouchures. Nous l’avons brièvement évoqué plus haut, ce qui va poser problème au niveau de ces dernières, c’est l’encombrement. Certes un mors plus épais augmente la surface de répartition des pressions (et encore, de peu !)… Mais a t-on vraiment la place de le mettre ?
La bouche, la langue, l’élasticité…
Voilà le problème : dans la bouche, il y a très peu de place. Nous avons vu qu’en moyenne l’espace disponible entre les deux mâchoires au niveau des barres est de… 34 mm. Et cet espace n’est en outre pas vide : il y a la langue, les muqueuses, le palais…
La langue et le reste
La langue prend la totalité de la place disponible dans la cavité buccale. Plus fine en partie rostrale (= à l’avant), elle s’épaissit en partie caudale (= à l’arrière). Elle est attachée à l’os hyoïde, composée de fibres musculaires multidirectionnelles, est puissante et présente une incroyable capacité de déformation et de résistance. Le palais dur quand à lui est la voûte haute de la cavité buccale. Le plexus palatin très innervé et irrigué ce qui lui confère une certaine sensibilité.
Donc, l’espace disponible est déjà pas bien grand. Et en plus il y a la langue qui vient remplir le peu d’espace disponible. À ce stade on peut déjà, en appliquant un simple ratio, se rendre compte du problème majeur que vont poser les mors qui présentent un gros diamètre de cannons.
Coefficient de compression théorique
Prenons par exemple un mors dont le diamètre des canons serait de 20 mm.
Nous savons qu’en moyenne l’espace inter-mâchoires au niveau des barres est de 34 mm. Le ratio, bouche fermée, de l’épaisseur de l’embouchure sur cette distance moyenne nous donne 20/34 ; soit une compression théorique5 de la langue de 58% bouche fermée et langue inactive.
Sans aucune action sur le mors, la langue est déjà théoriquement compressée de 58% !
En appliquant ce même ratio à d’autres diamètres de mors ne se déformant pas, on obtient par exemple 52% pour 18 mm, 64% pour 22 mm… Et c’est beaucoup.
Cependant, bien que ce rapport soit facile à calculer, il ne suffit pas à concevoir ni à choisir une embouchure. Car la langue, tout comme les commissures sont dotées d’un coefficient d’élasticité et ont la capacité de se détendre ou de se contracter avec une force d’opposition assez importante.
La langue, matériau élastique isotrope
Tout ce qui se trouve être muscles et tissus dans ces zones peuvent changer. Ce sont des matériaux dits « élastiques isotropes ». C’est à dire qu’ils ont la capacité de se déformer également dans plusieurs directions en réponse à la pression. Puis de revenir à leur état d’origine mais aussi de se contracter et dévier la pression. Cependant, il y a une limite à cette élasticité, au delà de laquelle la déformation est dite « permanente ». C’est la déformation plastique.
De façon générale donc, un mors plus fin compresse moins la langue. Mais la surface d’appui est alors réduite et les pressions deviennent très locales.
D’où l’intérêt majeur d’arrêter de parler d’épaisseur et de diamètre exclusivement mais plutôt de forme et de modes d’action.
Un bon compromis
Comment faire alors pour associer un mors qui ne prenne pas trop de place ET qui répartisse mieux la pression ?
En changeant la forme des canons, bien sûr !
En réduisant le diamètre des canons et en leur adjoignant un méplat6, la pression est mieux répartie et l’encombrement diminue.
Pour conclure au sujet du diamètre du mors, il faut donc chercher ce compromis entre diamètre + forme + encombrement. L’essentiel reste toujours que l’encombrement et la compression théoriques soient les plus faibles possibles. Mais aussi, que la langue ait une place suffisante pour bouger et que le cheval puisse fermer naturellement la bouche.
Si votre cheval respire, il ne déglutit pas !
Le dernier point du paragraphe précédent est essentiel, nous allons donc le préciser. Le cheval ne respire QUE par le nez. En effet, le système respiratoire et la structure des différents « clapets » permettant la circulation de l’air inspiré vers les poumons ne lui permettent pas d’alterner sa respiration avec la bouche.
Lors d’un effort, le cheval doit donc choisir entre déglutir7 OU respirer et ne peut pas faire les deux en même temps.
Hors, la mobilité de la langue à l’intérieur de la cavité buccale et la mobilité de la mâchoire sont indispensables à la déglutition. Si ces mobilités sont contrariées, alors la respiration peut s’en trouver contrariée par effet indirect. Le corps du cheval étant composé de muscles et ces derniers ayant besoin de l’oxygène transporté par la respiration pour fonctionner… Il est aisé de comprendre pourquoi il ne faut pas contrarier ces mobilités.
Choisir la taille du mors
Un mors se mesure entre chaque anneaux, si possible en étant posé sur une surface plane, de la tangente extérieure à l’anneau à l’autre. Le diamètre se mesure à l’endroit le plus épais, généralement juste avant l’anneau. Les anneaux se mesurent quant à eux au diamètre extérieur. Ces mesures sont généralement exprimées en mm ou en pouces.
À titre indicatif, les valeurs les plus usitées sont :
- 70 mm pour les anneaux de mors de filet
- 55 mm pour les anneaux de mors de filet de bride
- 16 mm de diamètre de canons « standards »
- 75 mm de longueur de branche pour les mors de bride
Dépend t-elle de la taille du cheval ?
Vous avez surement déjà vu un tableau de tailles du style « Poney de 1,40m = 125 cm », « Cheval de plus de 1,60m = 135 cm » ? Malheureusement, la longueur transversale de la bouche au niveau des barres est parfaitement indépendante de la taille du cheval.
Il n’est ainsi pas rare de voir des poneys porter un mors de 135 mm et d’immenses chevaux porter du 115 mm. C’est surtout une question de morphologie propre et donc corrélé la taille du mors à la taille de l’animal ne veut pas dire grand chose.
Quelques repères
Le mors repose en grande majorité sur la très volumineuse langue. La langue est un matériau hautement déformable et ce, en plusieurs directions simultanées. Cela veut aussi dire, qu’en fonction de « quoi et comment » on va venir la « charger », elle va se déformer + ou – ; dans une direction + ou – qu’une autre…Et cette variation va se répercuter sur les matériaux souples environnants : les lèvres.
• Si la langue reste bien au milieu de la bouche, sous les canons, avec un appui assez minimal (par ex : canons très cintrés) -> Le mors peut tailler plus petit qu’à l’accoutumée
• Si la langue est peu dégagée -> Répartition vers l’extérieur de la bouche -> Pousse les lèvres ->> Le mors peut tailler plus grand que d’habitude
Évidement, si la forme générale du mors varie peu et/ou que la répartition est la même, on observera très peu de variations. Mais il peut y en avoir une grande, parfois jusqu’à 1 taille et demi !
Anneaux libres ou fixes = pas la même taille !
Important à savoir également, la taille du mors change aussi selon le type d’anneaux. Si le mors a des anneaux libres qui coulissent, il ne faut pas que les anneaux soient au contact des lèvres. Le mors devra donc être sensiblement plus long, laissant idéalement dans les 5 mm de chaque côté de la bouche entre lèvres et anneaux. Cette valeur peut être moindre, tant qu’il n’y a pas de contact. Souvent, un cheval qui blesse aux commissures peut avoir un mors tout simplement trop petit. Les marques sont nombreuses aujourd’hui à proposer des « demi-tailles » entre les classiques 115, 125, 135… Permettant d’ajuster au mieux.
Concernant les anneaux fixes (olives, aiguilles, verdun…), c’est l’inverse. Dans ce cas de figure, les anneaux doivent être au contact des lèvres, mais sans toutefois les serrer.
En cas de doute
Deux conseils en cas de doute :
1) Essayer. Il n’y a que ce moyen qui puisse garantir que ça va. Aujourd’hui, beaucoup de vendeurs et de marques proposent de la location sur les embouchures. C’est une bonne façon d’essayer et de renvoyer si ça ne convient pas.
2) Si vous hésitez entre deux tailles, il vaut mieux prendre toujours la plus grande. Globalement, c’est toujours mieux à peine trop grand qu’un peu trop petit. Avec un mors trop grand le « risque » c’est de perdre en qualité du contact. Avec un mors trop petit, c’est un risque de blessures.
- Généralement >18 mm ↩︎
- Généralement <14 mm ↩︎
- Rappelons que la langue se déforme sous l’embouchure. Tout comme la main sous la poignée ↩︎
- Les notions de « douceur » ou de « sévérité » intrinsèque d’un outil sont à regarder avec un œil extrêmement critique. Seule l’équitation et la qualité du contact entrent en jeux dans ces notions. ↩︎
- La compression est dite théorique car elle ne prend pas en compte la tonicité de la langue et ses possibilités de déformation et de déviations. Il s’agit donc d’un repère, plus que d’une donnée reflétant la réalité. ↩︎
- Zone plate, souvent en bas ou à l’arrière des canons ↩︎
- Déglutir = avaler sa salive ↩︎